Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/220

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périls qu’il trouve chez les faux frères, nous dit-il que ce sont « des combats au-dehors, et des craintes à l’intérieur[1]. Si l’homme qui « me haïssait se fût élevé contre moi, je me serais dérobé à ses poursuites ; mais toi qui n’avais avec moi qu’une même âme ». Il y a ici unité d’âme, comme unité dans le Christ. L’Église a donc à souffrir au-dehors et à gémir à l’intérieur ; et toutefois, qu’elle croie à des ennemis au-dehors et au dedans ; ceux du dehors plus faciles à éviter, ceux de l’intérieur plus difficiles à tolérer.
5. Que notre Sauveur donc, que le Christ avec nous, le Christ tout entier s’écrie : « Seigneur, exaucez ma prière, prêtez l’oreille à mes supplications[2] ». « Exaucez » a le même sens que « prêtez l’oreille ». C’est une répétition qui a pour but de corroborer. « Exaucez-moi dans votre vérité, dans votre justice ». Ne passons pas légèrement sur cette expression : « dans votre justice ». Elle nous prêche la grâce de Dieu, afin que nul d’entre nous ne s’imagine que sa justice vient de lui-même. Car cette justice vient bien de Dieu, et si tu l’as, c’est qu’il te l’a donnée. Que dit, en effet, l’Apôtre de ceux qui ont voulu se glorifier de leur propre justice ? « Je leur rendrai », dit-il, « ce témoignage qu’ils ont le zèle de Dieu ». Il parlait alors des Juifs. « Ils ont à la vérité le zèle de Dieu », nous dit-il ; « mais non selon la science[3] ». Qu’est-ce à dire : « non point selon la science ? » Quelle science, ô saint Apôtre, nous donnez-vous comme utile ? Est-ce la science qui enfle dès qu’elle est seule, qui n’édifie que quand elle est unie à la charité[4] ? Ce n’est point cette science, assurément, mais la science qui est la compagne de la charité, la maîtresse de l’humilité, Vois si telle est la science dont il est dit : « Ils ont à la vérité le zèle de Dieu, mais non selon la science ». Qu’il nous dise lui-même de quelle science il parle : « Ignorant la justice qui vient de Dieu », nous dit-il, « et voulant établir leur propre justice, ils n’ont pas été soumis à la justice de Dieu[5] ». Quels sont donc les hommes qui veulent établir leur propre justice ? Ceux qui s’attribuent à eux-mêmes le bien, et à Dieu le mal qu’ils font. C’est le comble de la perversité : ils ne seront droits qu’à la condition de se corriger. Il y a donc perversité à rejeter sur Dieu le mal que l’on commet, à s’arroger le bien : il n’y a de droiture qu’à s’attribuer le mal, et à Dieu le bien que l’on fait. Car tu ne passerais pas d’une vie impie à la vie des justes, si tu n’étais devenu juste par celui qui justifie l’impie[6]. Donc, dit le Prophète : « Exaucez-moi dans votre justice », et non dans la mienne : afin que « je sois trouvé en Dieu, non point avec ma propre justice qui vient de la loi, mais avec celle qui vient de la foi[7] ». Voilà ce que signifie : « Exaucez-moi dans votre justice ». Quand en effet je me considère, je ne trouve de moi que le péché.
6. « Et n’entrez point en jugement avec votre serviteur[8] ». Quels hommes veulent entrer en jugement avec Dieu, sinon ceux qui ignorent sa justice, et veulent établir celle qui leur est propre ? Que signifie : « Nous avons jeûné et vous ne l’avez point vu ; nous nous sommes humiliés, et vous ne l’avez point su ? »[9] C’est comme si ces interlocuteurs disaient : Nous avons accompli vos préceptes, pourquoi ne pas accomplir vos promesses envers nous ? Et Dieu te répondra : Recevoir ce que j’ai promis, c’est un don de ma grâce, et faire ce qui mérite cette récompense est encore un don de cette même grâce. Enfin, voici ce que dit le Prophète à ces superbes : « Pourquoi vouloir entrer en jugement avec moi ? Vous m’avez tous abandonné, dit le Seigneur[10] ». Pourquoi vouloir entrer en jugement avec moi et faire mention de vos actes de justice ? Comment approuver la justice dans un cœur où je condamne l’orgueil ? C’est donc avec raison que notre interlocuteur, qui est humble dans le corps du Christ, apprenant de ce chef auguste à être doux et humble de cœur[11], s’écrie ici : « N’entrez point en jugement avec votre serviteur ». Ne disputons point, je ne veux aucun différend avec vous, ô mon Dieu, ni faire valoir ma justice, pour être, par vous, convaincu d’humilité. « N’entrez point eu jugement avec votre serviteur ». Pourquoi ? Que craint-il ? « C’est que nul homme vivant ne sera trouvé juste devant vous ». Nul homme vivant, est-il dit, nul homme vivant ici-bas, vivant dans la chair, vivant pour mourir, nul homme né des hommes, vivant pour les hommes, né d’Adam, ou plutôt Adam vivant ; tout homme vivant de la sorte pourra sans doute paraître juste à ses propres yeux, mais

  1. 2 Cor. 7,5 ; Ps. 54,13-14
  2. Ps. 142,1
  3. Rom. 10,2
  4. 1 Cor. 8,1
  5. Rom. 10,3
  6. Rom. 4,5
  7. Phil. 3,9
  8. Ps. 142,2
  9. Isa. 58,3
  10. Jer. 2,29
  11. Mt. 11,29