Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/243

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est ce souvenir de nous, qui l’a empêché de nous oublier, ce souvenir qu’il nous faut redire, qu’il nous faut chanter ; et comme il est doux, il faut t’en nourrir, puis en faire éruption. Mange-le au point de le répandre au-dehors. Reçois, afin de donner. C’est manger que s’apprendre, c’est faire éruption qu’instruire ; c’est manger que d’écouter, c’est répandre que prêcher ; et toutefois tu répands ce que tu as mangé. Enfin cet avide mangeur, ce bienheureux Jean, qui ne se contentait point de la table du Seigneur, s’il ne reposait sur la poitrine de son maître[1], pour y puiser les secrets divins, que répand-il ensuite ? « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était Dieu, et le Verbe était en Dieu[2]. Ils répandront la mémoire de votre inépuisable bonté ». Comment ne suffit-il pas au Prophète de dire : votre mémoire, ni la mémoire de votre abondance, ni la mémoire de votre bonté ; mais il dit : « La mémoire de l’abondance de votre bonté ? » À quoi servirait cette abondance, si elle n’était douceur ; et ne serait-il pas fâcheux que cette bonté ne fût pas abondante ?
10. Donc, ils répandront au-dehors la « mémoire de votre inépuisable bonté » parce que vous ne nous avez point oubliés, et que vous souvenant de nous, vous nous avez avertis et fait souvenir de vous. « Tous les confins de la terre se souviendront du Seigneur, et se tourneront vers lui[3] ». Donc parce qu’ils répandront au-dehors la mémoire de votre inépuisable bonté, qu’il n’y a rien de bien qui ne vienne de vous, et qu’ils n’ont pu se tourner vers vous sans être avertis par vous-même, qu’ils n’auraient pu se souvenir de vous, si vous les eussiez oubliés ; parce qu’ils ont considéré ces effets de votre grâce, « ils tressailliront dans votre justice ». Oui, c’est à la vue des effets de votre grâce qu’ils tressailliront dans votre justice, et non dans la leur. Buvez donc la grâce, mes frères, si vous voulez répandre la grâce. Qu’est-ce à dire : Buvez la grâce ? Apprenez la grâce, comprenez la grâce. Avant de naître, nous n’étions rien, et nous sommes devenus des hommes quand nous étions dans le néant. Mais nous ne pouvons être hommes qu’en tirant notre origine de l’homme pécheur et méchant ; et par nature nous sommes enfants de colère comme tous les autres[4]. Reconnaissons donc la grâce de Dieu qui, non seulement nous a faits, mais nous a refaits ; c’est à elle que nous devons d’exister, que nous devons d’être justifiés. Que nul n’attribue à Dieu son existence, et à soi-même sa justification ; ce serait s’attribuer une prérogative supérieure à celle de Dieu. Car être juste est beaucoup plus que d’être homme. Ce serait donc attribuer à Dieu ce qui est moindre, à toi ce qui est supérieur. Donne-lui tout, bénis-le de tout garde-toi d’échapper à la main de ton auteur. Quel est donc l’auteur de ton être ? N’est-il pas écrit que Dieu prit du limon dans la terre, et en forma l’homme[5] ? Avant d’être homme, tu étais un limon ; et avant d’être limon tu n’étais rien. Mais ne remercie point ton créateur de cet ouvrage de boue, écoute une œuvre bien autre que ce divin potier a faite en toi. « Cela ne vient point des œuvres », dit saint Paul, « de peur que nul ne s’élève ». Mais pourquoi dire : « Ce n’est point par les œuvres, de peur que nul ne s’élève ? » Qu’avait-il dit plus haut ? « C’est la grâce qui vous a sauvés par la foi : et cela ne vient point de vous ». Ce sont les paroles de l’Apôtre et non les miennes. « C’est la grâce qui vous a sauvés par la foi ; et cela (ce salut par la foi) ne vient pas de vous ». Il avait déjà dit la grâce, et dès lors ce n’est point de vous mais de peur qu’on ne donnât un autre sens à ses paroles, il s’explique d’une manière très claire. Pour peu que l’on ait d’intelligence, on dira : « C’est la grâce qui nous a sauvés ». Mais dire grâce, c’est dire gratuitement. Si donc c’est gratuitement il n’y a rien de toi, aucun mérite. Car ce que l’on donne au mérite est une récompense et non une grâce. « Vous êtes sauvés par la foi au moyen de la grâce ». Parlez-nous plus clairement, ô glorieux Apôtre, à cause de ces orgueilleux qui se complaisent en eux-mêmes, et qui dans leur ignorance de la justice de Dieu veulent établir leur propre justice[6]. Écoutez donc cette même pensée plus clairement : « Que vous soyez sauvés par la grâce, cela ne vient point de vous, c’est un don de Dieu[7] ». Mais peut-être avons-nous fait quelques œuvres pour mériter les dons de Dieu. « Cela ne vient point de nos œuvres », dit l’Apôtre, « de peur que nul ne s’élève ». Quoi donc ! ne faisons-nous aucun bien ? Nous en faisons, mais comment ? En ce que Dieu

  1. Jn. 13,23
  2. Id. 1,1
  3. Ps. 21,28
  4. Eph. 2,3
  5. Gen. 2,7
  6. Rom. 10,3
  7. Tit. 3,5