Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/248

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de Dieu ; « beaucoup qui tombent en se séparant de leurs pensées[1] ». Avoir une pensée funeste, et s’en séparer, c’est tomber, et le Seigneur soutient ceux qui tombent de la sorte. Les saints qui essuient quelques pertes ici-bas, sont en quelque sorte déshonorés en cette vie ; de riches ils deviennent pauvres, aux honneurs qu’ils recevaient, succède le mépris ; ils sont toutefois les saints de Dieu, mais les voilà comme tombés. Or, « Dieu soutient tous ceux qui tombent. Le juste tombe sept fois et se relève, les impies s’affaibliront dans les maux[2] ». Qu’il arrive donc à l’impie quelque chose de fâcheux, il en est affaibli ; qu’il arrive quelque malheur au juste, « le Seigneur affermit tous ceux qui tombent ». Job était tombé de cette ancienne splendeur où l’avaient élevé pour un temps ses grandes possessions terrestres, il était déchu de la magnificence de sa maison. Voulez-vous mesurer sa chute ? Il était assis sur le fumier, et le Seigneur le soutint dans sa chute. À quel point voulut-il bien le fortifier ? Au point que, malgré cette effroyable plaie qui couvrait tout son corps, il put répondre à sa femme qui le tentait, et que le démon lui avait laissée pour unique soutien : « Vous avec parlé comme une femme insensée : si nous avons reçu des biens de la main de Dieu, pourquoi n’en pas supporter les maux[3] ? » Jusqu’à quel point Dieu l’avait-il soutenu dans sa chute ? « Le Seigneur soutient tous ceux qui tombent. Que le juste vienne à tomber », est-il dit, « il n’en sera point troublé, parce que le Seigneur soutient sa main[4]. Il relève ceux qui sont brisés », du moins ceux qui sont à lui ; car Dieu résiste aux superbes[5].
19. « Les yeux de toutes les créatures sont fixés sur vous, Seigneur, et vous leur donnez la nourriture au temps opportun[6] ». Vous traitez donc l’homme comme un malade, ô mon Dieu ? Vous lui donnez à temps opportun, quand il a besoin ; et vous lui donnez ce qui convient. Aussi désire-t-il quelquefois sans rien recevoir de Dieu, qui connaît l’heure de donner, et qui prend soin de lui. Pourquoi vous parler de ces choses, mes frères, sinon de peur que vous n’ayez pas été exaucés, en demandant à Dieu ce qui était juste ? Quand on demande ce qui est injuste, Dieu nous châtie quelquefois en nous exauçant ; mais après avoir demandé ce qui est juste, ne nous décourageons point, ne nous rebutons point, si nous ne sommes point exaucés ; que nos yeux tournés vers le Seigneur attendent la nourriture qu’il donne à temps opportun. S’il nous refuse parfois, c’est de peur que ses dons ne soient préjudiciables. L’Apôtre ne faisait point une demande injuste, quand il priait Dieu de lui ôter cet aiguillon de la chair, cet ange de Satan qui le souffletait ; et pourtant il n’obtint pas ce qu’il demandait, parce que c’était le temps d’exercer sa faiblesse, et non de lui donner la nourriture. « Ma grâce te suffit », lui répondit le Seigneur, « car c’est dans la faiblesse que la vertu se fortifie[7] ». Le diable demanda de mettre Job à l’épreuve, et l’obtint[8]. Remarquez bien ceci, mes frères, c’est un mystère profond, qu’il nous faut étudier, reprendre souvent, retenir de manière à ne jamais l’oublier, à cause des épreuves en si grand nombre de cette vie. Que dirai-je ? Faut-il mettre saint Paul en parallèle avec Satan ? Saint Paul prie et n’est point exaucé ; le diable prie, et reçoit ce qu’il demande. Mais saint Paul ne fut point exaucé, afin qu’il en devînt plus parfait ; le diable fut exaucé pour sa propre damnation. Job lui-même enfin recouvra la santé en temps opportun. Dieu différa néanmoins pour le mettre à l’épreuve : il fut longtemps affligé de sa plaie, parla beaucoup, supplia le Seigneur de le délivrer de tant de maux, et le Seigneur ne le délivrait point. Il accorda plus promptement au diable le pouvoir de tenter Job, qu’à Job la délivrance qu’il sollicitait. Apprenez donc â ne point murmurer contre Dieu, et quand vous n’êtes point exaucés, ne cessez de répéter ce que nous avons dit plus haut : « Tous les jours je vous bénirai ». Le Fils unique de Dieu lui-même était venu pour souffrir, pour payer ce qu’il ne devait point, pour mourir entre les mains des pécheurs, pour effacer de son sang l’arrêt de notre mort ; c’est pour cela qu’il était venu ; et néanmoins afin de te donner l’exemple de la patience, il a pris le corps de notre faiblesse pour le transfigurer, en le rendant conforme à son corps glorieux[9]. « Mon Père », dit-il, « que ce calice s’éloigne de moi, s’il est possible[10] ». Et bien qu’il ne

  1. Ps. 5,11
  2. Prov. 24,16
  3. Job. 2,7-10
  4. Ps. 36,24
  5. Jac. 4,6
  6. Ps. 144,15
  7. 2 Cor. 12,7-9
  8. Job. 1,9-12 ; 2,4-6
  9. Phil. 3,21
  10. Mt. 26,39