Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/259

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

a aucun soin des bœufs ; mais quand il s’agit de créer, de paître, de gouverner, de conduire, tout appartient à Dieu. « Deux passereaux ne se vendent-ils pas une obole », dit Notre-Seigneur Jésus-Christ, « et l’un d’eux ne tombera pas sur la terre sans la volonté de votre Père ? N’êtes-vous pas beaucoup plus qu’eux ? » Garde-toi donc de dire : Dieu n’a de moi nul souci. Dieu prend soin de ton âme, Dieu prend soin de ton corps, parce que Dieu a fait ton âme et a fait ton corps. Mais Dieu, diras-tu, ne me discerne point dans une si grande foule. Voici dans l’Évangile un texte bien surprenant : « Tous les cheveux de votre tête sont comptés »[1].
15. « Dieu donc est mon Dieu, en lui est mon espérance ; c’est lui qui a fait le ciel et la terre, la mer et tout ce qui les occupe ». Mais en ce qui me concerne, que fait-il pour moi ? « Il conserve la vérité pour jamais[2] ». Le Prophète nous apprend à aimer Dieu et à le craindre. « Il garde pour toujours la vérité ». Quelle est la vérité qu’il garde pour jamais, quelle vérité et comment la conserver ? « Il rend justice à ceux que l’on opprime ». Il prend en main la défense de ceux que l’on opprime, et il leur rend justice, mes frères. À qui ? À ceux que l’on opprime, en châtiant les oppresseurs. Si donc il favorise les opprimés et châtie les oppresseurs, vois parmi lesquels tu veux être compté. Vois et considère si tu veux être parmi les opprimés, ou parmi les oppresseurs. Voici une parole de saint Paul, qui s’adresse à toi : « C’est être déjà criminel », te dit-il, « que d’avoir des procès. Pourquoi ne pas souffrir qu’on vous fasse tort[3] ? » Le voilà qui blâme les hommes de ne vouloir endurer aucun tort. Il ne l’engage pas à souffrir la peine, mais l’injure ; car toute peine n’est pas pour cela une injure. Il n’y a d’injure qu’à souffrir contre le droit. Ne dis pas : Je suis au nombre de ceux qui souffrent l’injure, car j’ai souffert à telle ou elle occasion. Vois si c’est injustement que tu as souffert. Les voleurs souffrent souvent, mais non l’injustice. Les hommes coupables de crimes, de maléfices, d’effractions, d’adultères, de corruption, souffrent tous de grands maux, mais ne souffrent pas l’injustice. Autre est endurer l’injustice, et autre subir une affliction, une peine, une douleur, un châtiment. Considère où tu es, vois ce que tu as fait, la cause de ta souffrance, et tu comprendras par là ce que tu endures ; car le droit et l’injustice sont contradictoires, puisque le droit c’est tout ce qui est juste. Mais tout ce qu’on appelle droit, n’est pas le droit pour cela. Que sera-ce si l’on se fait un droit injuste ? On ne saurait donc appeler droit ce qui est inique. Le véritable droit est donc bût ce qui est juste. Examine dès lors ce que lu as fait, et non ce que tu souffres. Si tu as fait ce qui est juste, ta douleur est injuste ; mais si tu as commis l’injustice, tu souffres justement.
16. Pourquoi parler ainsi, mes frères ? Afin que les hérétiques[4] ne s’applaudissent point quand ils ont à souffrir de la part des édits des princes d’ici-bas, afin qu’ils ne se mettent pas au nombre de ceux qui souffrent injustement, et qu’ils ne disent point : Voici un psaume consolant pour moi, puisque j’adore le Dieu « qui rendra justice à tous ceux que l’on opprime ». J’ai des raisons pour te demander si c’est injustement que tu souffres. Si tu as pratiqué ce qui est juste, on est injuste en te châtiant. Mais est-ce une justice de se soulever contre le Christ ? Est-ce une justice d’élever autel contre autel, par une orgueilleuse rébellion ? Est-ce justice de déchirer l’Église, quand les bourreaux ne déchirent point la tunique du Christ[5] ? Si tout cela n’est point le droit, tout ce que tu endures pour l’avoir fait est donc juste. Tu n’es donc pas au nombre de ceux qui souffrent injustement. Je lis dans l’Évangile un passage plus clair encore : « Bienheureux », est-il dit « ceux qui souffrent persécution ». Attends : pourquoi te hâter ? Pourquoi dire : c’est moi ? Attends, dis-je, et je te lirai tout. Tu as entendu : « Bienheureux ceux qui souffrent u persécution » ; et déjà tu commences à t’adjuger ce bonheur. Voici tout le passage, si tu le permets ; vois ce qui suit : « Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice[6] ». Dis maintenant : C’est moi. Dis : C’est moi, si tu l’oses. Reprenons alors ce que nous avons dit plus haut, et pour abréger, faisons une seule question : Si tu condamnais un homme sans connaître bien sa cause, aurais-tu l’audace de prétendre garder la justice ? Appellerais-tu injustice le mal qui pourrait t’en revenir ? Tu t’ériges donc insolemment sur le tribunal de ton cœur, pour

  1. Mt. 10,29-31
  2. Ps. 145,7
  3. 1 Cor. 11,7
  4. Les Donatistes
  5. Jn. 19,24
  6. Mt. 5,10