Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/261

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chute nous a brisés ? Notre corps fut d’abord pour nous un ornement ; le péché en fait une lourde chaîne. Quelle est cette chaîne que nous portons ? Notre mortalité. Écoute l’apôtre saint Paul, encore enchaîné dans ce lieu d’exil. Quelles contrées n’a point parcourues cet enchaîné ? ses chaînes lui furent peu lourdes, puisque, nonobstant leur poids, il prêcha l’Évangile à l’univers entier : l’esprit de charité souleva ses chaînes, et il parcourut une infinité de régions. Que nous dit-il néanmoins ? « Mon désir est d’être délié, afin d’aller avec le Christ ». Et toutefois, sa compassion pour les autres captifs lui fait désirer d’être lié, afin de les servir encore : « Mais demeurer en la chair », nous dit-il, « m’est nécessaire à cause de vous »[1]. C’est donc « le Seigneur qui délie les captifs », c’est-à-dire qui, de mortels, nous rend immortels. « C’est le Seigneur qui relève ceux qui tombent ». Pourquoi tomber ? parce qu’ils se sont élevés. Pourquoi sont-ils relevés ? parce qu’ils se sont humiliés, Adam tomba et fut brisé[2] ; il tomba, tandis que le Christ descendit. Pourquoi descendre, lui qui n’avait fait aucune chute, sinon afin de relever celui qui était tombé ? « Le Seigneur donne aux aveugles la sagesse ; le Seigneur aime les justes ». Aussi rend-il justice à ceux qui souffrent injustement,
18. Et quels sont ces justes ? jusqu’où va maintenant leur justice ? Voilà que le Prophète ajoute : « Le Seigneur garde les prosélytes[3] ». Ces prosélytes sont les étrangers or, toute l’Église de la Gentilité est prosélyte. Étrangère, elle s’est unie à nos pères, devenant ainsi leur fille, non par la naissance charnelle, mais par l’imitation de leur foi. Toutefois, c’est le Seigneur, et non plus un homme qui la protège. « Il soutiendra la veuve et l’orphelin ». Ne croyons pas qu’il doive soutenir l’orphelin dans son héritage, ou la veuve dans je ne sais quel procès. Sans doute le Seigneur nous soutient dans ces sortes d’affaires ; c’est lui qui fait le bien dans tous les services que les hommes se rendent mutuellement ; lui qui soutient l’orphelin, n’abandonne point la veuve ; mais en un sens, nous sommes tous orphelins, parce que notre père, sans être mort, est cependant absent. Sans doute les hommes appellent orphelin celui dont le père est mort, et à vrai dire, nos pères sont vivants, puisque l’âme ne meurt point. Ils vivent dans les supplices s’ils ont été méchants, et dans le repos, s’ils ont fait le bien : rien n’est perdu aux yeux du Créateur. Toutefois, aussi longtemps que nous sommes dans ce corps mortel, et que nous habitons un lieu d’exil, nous sommes loin de notre Père, à qui nous crions : « Notre Père qui êtes aux cieux[4] ». L’Église est donc veuve, puisqu’elle n’a point d’Époux ici-bas, puisque son Époux est absent. Il viendra, cet Époux invisible qui la protège, cet Époux désiré. Nous avons pour lui de violents désirs, nous aspirons à lui sans le voir. Un jour nous le verrons, nous jouirons de ses embrassements, si la foi nous tient attachés à lui, maintenant qu’il est invisible. Que veut donc nous montrer le Prophète dans cet orphelin et cette veuve, sinon ceux que l’on abandonne sans secours ? Que l’âme délaissée ici-bas se promette le secours du Seigneur. Quelles que soient tes richesses, ton or, y mets-tu ta confiance ? Tu n’es plus un prosélyte, un orphelin, tu n’es point compté avec les veuves, tu as un ami ; si tu t’appuies sur lui, délaissant le Seigneur, tu n’es pas sans secours. As-tu tous ces biens, sans t’en prévaloir, sans y mettre ta confiance ? Tu as pour Dieu un orphelin, pour Dieu une veuve. Il soutient donc ceux que l’on abandonne, c’est là ce que dit le Prophète : « il soutient la veuve, il soutient l’orphelin ».
19. « Il confondra la voie des impies ». Quelle est cette voie des pécheurs ? De rire de ce que nous disons ici. Quel est l’orphelin, nous disent-ils ? quelle est la veuve ? qu’est-ce que ce royaume des cieux, ce châtiment de l’enfer ? Tout cela, fables chrétiennes ! Je tiens à ce que je vois : « Mangeons et buvons, car nous mourrons demain ». Prends garde aux paroles insidieuses de ces hommes ; qu’elles ne descendent point de l’oreille dans le cœur ; qu’elles rencontrent des épines dans ton oreille, et qu’il se retire devant leur aiguillon, celui qui essaierait d’y entrer. « Les mauvais discours corrompent les bonnes mœurs[5] », Mais pourquoi donc ces impies sont-ils heureux, me dira-t-on ? Ils n’adorent point Dieu, ils commettent chaque jour de grands péchés, et cependant ils ont tous ces biens que je n’ai point. Loin de toi de rien envier aux pécheurs. Tu vois ce qu’ils reçoivent,

  1. Phil. 1,23-24
  2. Gen. 3,6
  3. Ps. 145,9
  4. Mt. 6,9
  5. 1 Cor. 15,32-33