Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/285

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la charité les renferme dans son giron. Écoute la charité qui les enfante : c’est elle qui donnait à Paul non seulement un cœur de père, mais un cœur de mère, pour ses enfants : « Mes petits enfants », dit-il, « que j’enfante une seconde fois[1] ». Or, Paul qui enfante, c’est la charité qui enfante ; et la charité qui enfante, c’est l’Esprit de Dieu qui enfante. « La charité, en effet, est répandue dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné[2] ». Qu’elle rassemble donc ceux qu’elle a enfantés avec douleur, ceux qu’elle a mis au monde. Ils sont déjà dans l’intérieur, ils sont en sûreté. Ils ont pris leur essor du nid de la crainte, ils ont pris leur essor pour les cieux, pour les tabernacles éternels ; rien de temporel n’est à redouter pour eux.
15. « Il a béni tes fils en toi ». Qui a béni ? « Celui qui a mis la paix sur tes frontières[3] ». Quelle n’est point la joie universelle à cette parole ? Aimez-la, mes frères. Nous éprouvons une grande joie quand l’amour de la paix éclate ainsi du fond de vos cœurs. Quelle joie cette parole a suscitée ! Je n’avais rien dit encore, je n’avais rien expliqué, je prononce le verset et vos cris partent. Qu’est-ce qui a crié en vous ? L’amour de la paix. Qu’ai-je mis sous vos yeux ? Pourquoi ces cris, si vous ne ressentez cet amour ? D’où vient cet amour, si vous ne voyez rien ? La paix est invisible. Où est l’œil qui l’a vue pour l’aimer ? Et toutefois, on ne pousserait aucun cri si on ne l’aimait. Ce sont là, mes frères, les spectacles invisibles que Dieu nous présente. De quelle beauté l’idée seule de la paix n’a-t-elle point frappé vos cœurs ? Que dire encore dola paix, et comment la louer ? Votre allégresse a dépassé toutes mes paroles. Je n’achève point, je ne saurais, je suis trop faible. Remettons donc l’éloge de la paix, jusqu’à ce que nous soyons dans la patrie de la paix. C’est là que nous pourrons la louer plus pleinement, en jouir plus pleinement. Si nous l’aurions ainsi quand elle commence, quelles louanges lui donner quand elle sera parfaite ? Jugez-en vous-mêmes, ô fils bien-aimés, fils de la paix, citoyens de Jérusalem, car Jérusalem est la vision de la paix ; et tous ceux qui aiment la paix sont bénis dans son enceinte, ils peuvent y entrer et les portes se ferment, et les barrières sont consolidées. Cette paix dont le nom seul fait éclater votre amour, cultivez-la, recherchez-la sincèrement ; aimez-la dans vos maisons, aimez-la dans vos affaires, aimez-la dans vos Épouses, aimez-la dans vos enfants, aimez-la dans vos serviteurs, aimez-la dans vos amis, aimez-la dans vos ennemis.
16. Telle est la paix que n’ont point les hérétiques. Quelle est l’œuvre de cette paix, dans les perplexités de ce monde, dans l’exil de notre mortalité, où nul n’est connu d’un autre, ou nul ne connaît le cœur de son voisin ? Que fait la paix ? Elle ne juge pas de ce qui est incertain, et n’affirme rien d’inconnu. Elle est plus inclinée à croire le bien d’un homme, qu’à en soupçonner le mal. Elle ne s’afflige point de s’être trompée en croyant bon l’homme qui est méchant ; mais elle se croit coupable d’avoir cru au mal chez l’homme de bien. Je ne le connais point, dit-elle, que perdrai-je à croire qu’il est bon ? Si cela est incertain, il est permis d’agir avec précaution, car peut-être n’est-ce pas vrai ; mais garde-toi de condamner comme si tu étais certain. C’est le précepte de la paix. « Cherche la paix », dit le Prophète, « et poursuis-la[4] ». Que dit l’hérésie au contraire ? Elle condamne sans connaître, et condamne le monde entier ; tout le monde a péri, il n’y a plus un seul chrétien, l’Afrique seule est demeurée. Bien jugé. Mais de quel tribunal peux-tu condamner le monde entier ? Sur quel forum le monde a-t-il comparu devant toi ? Que l’on ait s’en rapporte pas à moi, j’y consens ; mais pas à toi non plus. Qu’on en croie au Christ, à l’Esprit de Dieu, qui a parlé par les Prophètes, qu’on en croie à la loi de Moïse. Qu’a dit Moïse des temps futurs qui sont les nôtres ? « En ta postérité », fut-il dit à Abraham, « toutes les nations seront bénies[5] ». As-tu des doutes sur cette race d’Abraham ? Il n’y a plus de doute à conserver quand l’Apôtre a parlé ; ou si tu n’en crois point à l’Apôtre, pourquoi dire : La paix, la paix, quand il n’y a point de paix[6] ? Que dit l’Apôtre ? « Les promesses de Dieu sont faites à Abraham et à sa postérité. L’Écriture ne dit point : « Et à ceux qui naîtront de lui, comme s’ils eussent dû être plusieurs ; mais comme en parlant d’un seul, elle dit : Et à celui qui naîtra de toi, qui est le Christ[7] ». Il y a des milliers d’années qu’il fut dit à Abraham : « Les nations seront bénies en ta postérité ». Or,

  1. Gal. 4,19
  2. Rom. 5,6
  3. Ps. 147,14
  4. Ps. 33,12
  5. Gen. 22,18
  6. Jer. 6,14
  7. Gal. 3,16