Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/293

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difficile d’arriver à la vision bienheureuse ; et il te deviendra salutaire, ce brouillard que Dieu répand comme la cendre. Tu es encore un brouillard, mais comme la cendre ; car les pénitents se roulent dans la cendre, témoignant ainsi, mes frères, qu’ils ressemblent à cette poussière, et disant à leur Dieu : « Je ne suis que cendre ». On lit en effet quelque part dans l’Écriture : « Je me suis méprisé, et j’ai rougi de moi, en me comparant à la boue et à la cendre[1] ». Telle est l’humilité du pénitent. Quand Abraham parle à son Dieu, et qu’il veut qu’on lui découvre l’embrasement de Sodome : « Je ne suis », dit-il, « que terre et que cendre[2] ». N’est-ce point toujours cette humilité que l’on retrouve dans les grandes âmes et dans les saints ? Donc le Seigneur répand le brouillard comme la cendre ; pourquoi ? « Parce qu’il appelle ceux qu’il a prédestinés[3], lui qui n’est point « venu pour appeler à la pénitence les justes, mais les pécheurs[4] ».
25. « Il envoie son cristal comme des morceaux de pain ». Il n’est pas besoin de nous fatiguer encore à expliquer ce qu’est le cristal. Nous en avons dit un mot, que sans doute votre charité n’a point oublié. Que signifie donc : « Il envoie son cristal comme des morceaux de pain[5] ? » De même que la neige vient de lui parce qu’elle désigne les prédestinés ; de même que le brouillard vient de lui, parce qu’il désigne ceux qu’il appelle à la pénitence après les avoir prédestinés ; ainsi le cristal lui appartient en quelque sorte. Qu’est-ce que le cristal ? Un corps très dur, fortement congelé, et qu’on ne saurait dissoudre facilement comme la neige. Cette neige de plusieurs années, durcie pendant de longs siècles, prend le nom de cristal ; et voilà ce que Dieu envoie comme des morceaux de pain. Que veut dire tout ceci ? Des pécheurs très endurcis ne sauraient plus être comparés à la neige, mais bien au cristal ; et toutefois ils sont prédestinés et appelés, quelques-uns même l’ont été de manière à nourrir les autres, à leur être utiles. Et qu’est-il besoin de vous citer ici tel ou tel que nous connaissons ? Chacun de vous peut se rappeler combien étaient endurcis, et se roidissaient contre la vérité quelques hommes qu’il a connus, et qui prêchent aujourd’hui cette même vérité ; les voilà devenus des morceaux de pain. Quel est ce pain unique ? « Quoique nous soyons plusieurs », dit l’Apôtre, « nous ne sommes qu’un en Jésus-Christ[6]. Nous ne sommes tous qu’un seul pain, un seul corps[7] ». Si donc le corps du Christ est un seul pain, ses membres sont des morceaux de pain. Il change en ses membres quelques cœurs endurcis, qu’il fait servir à la nourriture des autres. Pourquoi chercher si loin des exemples ? Il en est un bien connu, celui de l’apôtre saint Paul. Rien n’est plus connu que ce grand homme, rien de plus doux, rien de plus familier dans les saintes Écritures. S’il en est d’autres qui soient devenus du pain après avoir été endurcis comme lui, qu’au nom de saint Paul ils vous reviennent à la mémoire comme des exemples, afin d’expliquer le sens de cette parole : « Il envoie son cristal comme des morceaux de pain ». L’apôtre saint Paul était donc un cristal, un cristal dur, rebelle à la vérité, déclamant contre l’Évangile, comme pour s’endurcir contre le soleil. Il était dur ce nourrisson de la loi, disciple du docteur de la loi Gamaliel[8]. Il n’écoutait ni Moïse, ni les Prophètes, qui annonçaient le Christ. Quelle dureté ! Les nations, il est vrai, n’écoutaient point les Prophètes, n’écoutaient point Moïse, elles étaient froides, mais n’étaient pas un cristal. Il était bien plus endurci, cet homme croyant aux paroles qui annoncent le Christ, et ne croyant point au Christ qu’il avait devant lui. Donc, parce qu’il était un cristal, il paraissait net et brillant, mais il était dur et fortement congelé. Comment paraissait-il net et brillant ? « Hébreu, et fils d’Hébreux, et Pharisien en ce qui regarde la loi ». C’est l’éclat du cristal. Vois maintenant combien il est dur « Quant au zèle pour le judaïsme, persécuteur de l’Église du Christ[9] ». Il était, cet homme endurci, et plus endurci peut-être que tous les autres, il était parmi ceux qui lapidaient le martyr saint Étienne. Il gardait les habits de ceux qui le lapidaient, le lapidant ainsi par les mains de tous.
26. Nous comprenons donc, et la neige, et le brouillard, et le cristal : Dieu veuille souffler et les dissoudre. S’il ne le fait, s’il ne dissout lui-même une glace si dure, « qui pourra subsister sous la rigueur de son froid ? » En face de son froid ; du froid de qui ? de Dieu.

  1. Job. 30,19
  2. Gen. 18,27
  3. Rom. 8,30
  4. Mt. 9,13
  5. Ps. 148,17
  6. Rom. 12,5
  7. 1 Cor. 10,17
  8. Act. 22,3
  9. Phil. 3,5