Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/297

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

prions aussi. Louer Dieu est une joie, le prier c’est gémir. De grands biens nous sont promis, et nous ne les possédons point encore ; mais comme celui qui nous les a promis est véridique, nous nous réjouissons dans l’espérance, et comme nous ne les possédons point, nous aspirons, nous gémissons. Il nous est avantageux de persévérer dans ce désir, jusqu’à ce que les promesses que nous attendons soient accomplies, que notre gémissement soit passé, pour faire place uniquement à la louange. C’est pour désigner ces deux époques, dont l’une se passe dans les amertumes et les tribulations de cette vie, l’autre dans la sécurité, dans l’allégresse éternelle ; que nous célébrons deux temps bien différents, l’un qui précède, l’autre qui suit la fête de Pâques. Le temps qui précède Pâques est le symbole des tribulations actuelles ; le temps où nous sommes, et qui suit Pâques, est le symbole de cette félicité dont nous jouirons plus tard. Nous célébrons dès lors avant Pâques notre vie actuelle ; et après Pâques, nos fêtes sont le symbole de ce bonheur qui n’est point encore le nôtre. Aussi l’un de ces temps est-il passé dans le jeûne et la prière, et dans l’autre, nous nous relâchons de nos jeûnes, pour chanter les louanges de Dieu ; c’est ce que nous marque le cantique Alléluia, qui en latin signifie « louez Dieu », comme vous le savez. L’un de ces temps précède la résurrection du Seigneur ; l’autre la suit et nous marque la vie future que nous ne possédons pas encore : ce n’est en effet qu’après notre résurrection que nous jouirons des biens figurés par le temps qui suit la résurrection du Christ. Nous avons dans notre chef la figure de ces deux états ; et la passion du Seigneur nous montre ce qu’est pour nous la vie présente, le labeur, la peine, et à la fin la mort ; mais sa résurrection et sa gloire nous désignent celte vie qui doit être la nôtre quand il viendra pour rendre à chacun selon ses mérites, des biens aux bons, des châtiments aux méchants. Aujourd’hui, sans doute, tous les méchants peuvent chanter avec nous l’ Alléluia; toutefois, s’ils persévèrent dans leur malice, le cantique de l’ Alléluia pourra bien être sur leurs lèvres, mais ils ne pourront obtenir cette vie future qui accomplira en réalité ce que nous n’avons aujourd’hui qu’en figures, parce qu’ils n’auront pas voulu méditer avant son avènement, et posséder par avance ce qui était à venir.
2. Maintenant donc, mes frères, nous vous exhortons à louer Dieu, et c’est ce que nous nous disons mutuellement dans ce seul mot Alléluia. Louez le Seigneur, dis-tu à l’un. Louez le Seigneur, te répondra l’autre ; et s’exhorter mutuellement, c’est faire dès lors ce que l’on s’exhorte à faire. Mais louez-le de tout vous-mêmes ; c’est-à-dire, non seulement de la langue, mais de la voix, mais aussi de toute votre conscience, dans toute votre vie, dans tous vos actes. Nous louons Dieu dans l’Église, maintenant que nous y sommes assemblés ; et que chacun se retire chez soi, il semble dès lors interrompre cette louange. Mais qu’il ne cesse de bien vivre, et il ne cesse de louer Dieu. Cesser de louer Dieu, c’est t’écarter de la justice, et de tout ce qui lui plaît. Si jamais tu ne t’éloignes du bien, ta tangue peut bien se taire, mais ta vie est un chant, et Dieu a l’oreille sur ton cœur, De même, en effet, que notre oreille entend notre voix, l’oreille de Dieu entend nos pensées. Or, il est impossible que les actes d’un homme soient mauvais quand il a de saintes pensées. Car l’action vient de la pensée, et nul ne peut rien faire au-dehors ni mouvoir les membres de son corps, si la pensée ne l’a ordonné tout d’abord. Ainsi en est-il des ordres que donne l’empereur dans l’intérieur de son palais, et qui se répandent par tout l’empire romain, et s’accomplissent visiblement dans les provinces. Quel mouvement ne soulève pas la seule parole du maître assis dans son palais ? Un mouvement de tes lèvres quand il parle, met en émoi toute une province pour exécuter l’ordre donné. Ainsi chaque homme a dans soi-même un empereur qui siège dans son cœur. S’il est bon, il ordonne le bien, et le bien se fait ; s’il est mauvais, il ordonne le mal, et c’est le mal qui se fait. Que le Christ y siège, et alors que pourra-t-il ordonner, sinon le bien ? Quand le diable en est en possession, que peut-il commander autre que le mat ? Or, Dieu a voulu laisser à ton choix auquel des deux tu veux préparer une place dans ton cœur, à Dieu ou au diable. Quand tu l’auras préparée, celui qui possédera ton cœur y commandera. Donc, mes frères, ne vous en tenez pas seulement au bruit ; quand vous louez Dieu louez-le pleinement. Chantez de la voix, chantez par une vie sainte, chantez par vos