Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/335

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10. « Il était dans le monde, et le monde a été fait par lui ». Ne pense point qu’il était dans le monde, comme y est la terre, comme y est le ciel, comme y sont le soleil, la lune, les étoiles, comme y sont les arbres, les animaux, les hommes. Ce n’est pas ainsi qu’il était dans le monde. Mais comment y était-il ? Comme un ouvrier qui gouverne ce qu’il a fait. Non, toutefois, qu’il ait fait son œuvre comme un ouvrier fait la sienne : hors de l’ouvrier est le coffre qu’il façonne ; ce coffre est placé dans un endroit autre que celui où il se trouve lui-même, pendant qu’il le fabrique : et bien que l’ouvrier se tienne à côté de son œuvre, il est cependant ailleurs et en dehors de l’objet de son travail. Pour Dieu il est répandu dans le monde qu’il crée, il demeure dans toutes ses parties, il ne se retire nulle part ailleurs ; il n’est point placé au-dehors du monde, pour le laisser en quelque sorte tomber de ses mains. Par la présence de sa majesté il fait ce qu’il fait, par sa présence il gouverne ce qu’il a fait. Ainsi il était donc dans le monde comme celui par qui a été fait le monde : « Car le monde a été fait par lui, et le monde ne l’a pas connu ».
11. Qu’est-ce à dire : « Le monde a été fait par lui ? » Le ciel, la terre et tout ce qui s’y trouve s’appellent le monde. En outre, et dans un autre sens on appelle de ce nom les amis du monde. « Le monde a été fait par lui, et le monde ne l’a pas connu ». Quoi ! les cieux n’ont point connu leur Créateur ? les anges ne l’ont point connu ? les astres ne l’ont point connu, lui dont les démons confessent là puissance ? En tous lieux, toutes choses lui rendent témoignage. Mais qui sont ceux qui ne l’ont point connu ? Ceux qui, aimant le monde, ont été appelés de ce nom ; car où se trouvent nos affections, nous y habitons par le cœur. Aussi, dès lors qu’ils aimaient le monde, ils ont mérité le nom du lieu où ils avaient fixé leurs affections. Ainsi lorsque nous disons : Mauvaise est cette maison, ou bonne est cette maison, nous ne jetons pas plus un blâme sur les murailles de la première, que nous ne faisons l’éloge de la seconde. Mais, en disant qu’une maison est mauvaise, nous entendons que ceux qui l’habitent sont des méchants ; et en disant qu’elle est bonne, nous voulons dire que ceux qui y demeurent sont des gens honnêtes. Ainsi, par le monde nous entendons ceux qui y ont fixé leurs affections. Qui sont-ils encore une fois ? Ceux qui l’aiment, parce qu’ils y habitent par le cœur. Car pour les autres qui n’aiment pas le monde, leur corps est bien dans le monde, mais leur cœur habite au ciel, comme dit l’Apôtre : « Notre conversation est au ciel [1] ». Donc, « le monde a été fait par lui, et le monde ne l’a pas connu ».
12. « Il est venu chez soi », parce que tout cet univers a été fait par lui. « Et les siens ne l’ont pas reçu ». Qui les siens ? Les hommes qu’il a créés. Les Juifs qu’il a dès le commencement élevés au-dessus de toutes les nations. Car les autres peuples adoraient les idoles et servaient les démons ; mais les Juifs étaient issus de la race d’Abraham ; ainsi ils étaient particulièrement les siens parce qu’ils lui appartenaient par le lien de la chair dont il a daigné se revêtir pour notre amour. « Il est venu chez soi, et les siens ne l’ont pas reçu ». A-t-il été absolument rejeté de tous ? Aucun d’eux ne l’a-t-il reçu ? Aucun d’eux n’a-t-il été sauvé ? Car personne ne sera sauvé à moins de recevoir Jésus-Christ.
13. Mais il ajoute : « Quant à ceux qui l’ont « reçu ». Que leur a-t-il accordé ? Étonnante miséricorde ! Admirable bienveillance ! Unique par sa naissance, il n’a pas voulu demeurer seul. Plusieurs n’ayant pas eu d’enfants, et l’âge où l’on peut en avoir étant passé pour eux, ils en adoptent, et par leur volonté ils se donnent ce que leur a refusé la nature : ainsi font les hommes. Mais si quelqu’un a un fils unique, il en éprouve une joie d’autant plus vive, parce que celui-ci est seul appelé à posséder tout le bien de son père, et qu’il n’aura point à partager avec d’autres son héritage en le partageant il s’appauvrirait. Il n’en est pas ainsi de Dieu. Le Fils unique qu’il avait engendré, et par qui il avait fait toutes choses, il l’a envoyé dans le monde afin qu’il ne fût pas seul, mais qu’il eût des frères adoptifs. Pour nous, en effet, nous ne sommes pas nés de Dieu comme son Fils unique ; mais nous avons été adoptés par sa grâce. Ce Fils unique est venu pour nous délivrer des péchés dans lesquels nous étions enveloppés, et qui formaient un obstacle à notre adoption. Aussi a-t-il d’abord délivré de leurs fautes ceux dont il voulait faire ses frères, puis il les a rendus ses cohéritiers. Voilà, en effet, ce que dit l’Apôtre : « S’il est fils, il est aussi héritier

  1. Phil. 3, 20