Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/345

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une grâce aussi éclatante ! Par quel moyen donc retenir dans le devoir un pareil peuple, sinon par des promesses charnelles ?
20. Ainsi les mêmes commandements se trouvent pour eux et pour nous au décalogue de la loi ; mais les promesses n’y sont pas les même s. Que nous promet-on à nous ? La vie éternelle. « Or, la vie éternelle est de vous connaître vous seul vrai Dieu et Jésus-Christ que vous avez envoyé [1] ». La connaissance de Dieu, voilà ce qui nous est promis, voilà la grâce pour la grâce. Maintenant, mes frères, nous croyons, nous ne voyons pas. Cette foi aura sa récompense, ce sera de voir ce que nous croyons. Les Prophètes ont connu ce mystère, bien qu’il fût caché avant la venue de Notre-Seigneur. Ainsi un ami de cette récompense qui, soupirant après elle dans ses psaumes, a dit : « Je n’ai demandé qu’une chose au Seigneur, je la rechercherai avec ardeur ». Mais, diras-tu, que demande-t-il ? Est-ce la terre, d’où découlent matériellement le lait et le miel ? bien qu’il faille se mettre à sa recherche et la demander dans le sens spirituel. Est-ce l’assujettissement de ses ennemis, la mort de ceux qui veulent lui nuire, les hautes places ou les richesses du siècle ? Il aime avec ardeur, il soupire grandement, il brûle, il est hors d’haleine ; voyons ce qu’il demande : « Je n’ai demandé qu’une seule chose au Seigneur, je la rechercherai avec ardeur ». Qu’est-ce donc que cette chose ainsi recherchée ? « C’est d’habiter », dit-il, « dans la maison du Seigneur tous les jours de ma vie ». Et quand habiteras-tu dans la maison du Seigneur, en quoi y trouveras-tu ton bonheur ? « Et d’y contempler », continue-t-il, « les délices du Seigneur [2] ».
21. Mes frères, quand jetez-vous des cris de joie ? Quand travaillez-vous d’allégresse ? Quand vous sentez-vous portés à aimer ? N’est-ce point lorsqu’une étincelle de charité se montre à vous ? Je vous le demande : quel est l’objet de vos désirs ? Pouvez-vous le voir de vos yeux ? Le toucher de vos mains ? Y découvrez-vous des charmes qui fascinent vos regards ? Certes, nous aimons grandement les martyrs ; et quand nous célébrons le souvenir de leurs souffrances, il suffit à enflammer notre amour. Qu’aimons-nous en eux, mes frères ? Leurs membres déchirés par les bêtes féroces ? Quoi de plus hideux pour les yeux de ton corps, quoi de plus beau pour les yeux du cœur ? Que vous semble le plus beau jeune homme, s’il est voleur ? Le dégoût et l’horreur se peignent dans tes yeux. Mais sont-ce bien tes yeux de chair qui frémissent à sa vue ? À juger par eux, rien de pins correct que le corps de ce jeune homme ; rien de mieux ordonné : la belle proportion de ses membres, la fraîcheur de son teint captivent ton admiration ; mais si tu apprends qu’il est un voleur, ton cœur se détourne aussitôt de lui. D’autre part, un vieillard se présente à toi ; il est plié en deux, et il s’appuie sur un bâton ; il a peine à se mouvoir ; son corps est partout couvert de rides : y a-t-il là rien qui puisse charmer tes yeux ? On te dit qu’il est juste ; c’en est assez : tu l’aimes et tu l’embrasses. Telles sont, mes frères, les récompenses qui nous sont promises. Que de tels biens possèdent vos affections : soupirez après ce royaume ; que cette patrie soit l’objet de vos désirs ; si vous prétendez parvenir à ces biens apportés par Notre-Seigneur, lors de sa venue, c’est-à-dire à la grâce et la vérité. Si, au contraire, tu désires recevoir de Dieu une récompense temporelle, tu es encore sous la loi, et il t’arrivera de ne pas même l’accomplir ; car dès le moment où tu verras que les biens temporels sont abondamment accordés à ceux qui offensent Dieu, tes pas chancelleront et tu te diras : Voici que j’honore Dieu, je cours tous les jours à l’Église, je brise mes genoux à force de prier et je suis continuellement malade. D’autres, au contraire, se livrent à l’homicide et aux rapines, ils sont dans l’allégresse et l’abondance ; tout leur réussit. Étaient-ce donc là les biens que tu demandais à Dieu ? Il est sûr pourtant que tu appartenais à la grâce. Si Dieu t’a donné ce qu’on appelle la grâce, parce qu’il te l’a donnée gratuitement, aime-le donc gratuitement. N’aime pas Dieu pour la récompense ; qu’il soit seul ta récompense ; que ton âme s’écrie : « Je n’ai demandé qu’une chose au Seigneur, je la rechercherai avec ardeur : c’est d’habiter dans la maison du Seigneur tous les jours de ma vie, et de contempler les délices du Seigneur ». Ne crains pas de faiblir sous le poids de l’ennui. Tel sera le charme de la beauté divine que, toujours présente à tes yeux, elle ne te rassasiera jamais, ou plutôt, qu’elle te rassasiera toujours sans que tu sois jamais rassasié.

  1. Jn. 17, 3
  2. Ps. 26, 4