Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/40

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vers lui dans ce lointain exil. Lui seul sera l’Époux, parce que seul il a pu donner de tels gages. Qui peut en effet Épouser, de telle sorte qu’il meure pour celle qu’il veut Épouser ? Car s’il veut mourir pour elle, il n’en sera point l’Époux. Or, Celui-ci n’a point hésité à mourir pour celle qu’il devait Épouser après sa résurrection. Toutefois, mes frères, en attendant ce moment, soyons comme les serviteurs et comme la servante. Il est dit, sans doute : « Je ne vous traiterai point en serviteurs, mais en amis[1] ». Mais n’était-ce peut-être qu’à ses disciples que le Seigneur parlait ainsi ? Écoutez ce que dit saint Paul : « Aucun de vous n’est donc plus esclave, mais fils ; et s’il est fils, il est héritier par la grâce de Dieu[2] ». Ainsi disait-il au peuple, à tous les fidèles. Déjà rachetés au nom et par le sang du Christ, purifiés dans son bain, nous sommes ses enfants, nous sommes son fils ; quoique nous soyons en effet plusieurs, nous sommes un en Jésus-Christ. D’où vient qu’après cette grâce nous parlons encore comme des serviteurs ? Maintenant que d’esclaves nous sommes devenus des fils, pouvons-nous avoir dans l’Église un mérite égal à celui de l’apôtre saint Pan !? Et pourtant, que dit-il dans ses lettres ? « Paul, serviteur de Jésus-Christ[3] ». Si ce prédicateur de l’Évangile se dit encore serviteur, combien plus nous autres devons-nous considérer notre condition, afin que la grâce augmente en nous ? Il a d’abord fait des serviteurs de tous ceux qu’il a rachetés. Car son sang, qui était la rançon des esclaves, était aussi les arrhes de l’Épouse. Convaincus de notre condition, enfants par la grâce, il est vrai, mais serviteurs comme créatures, puisque toute créature est soumise aux ordres de Dieu, disons avec le Prophète : « Comme le serviteur tient les yeux attachés sur son maître, une esclave sur sa maîtresse, ainsi mes regards sont fixés sur le Seigneur notre Dieu, jusqu’à ce qu’il ait pitié de nous ».
6. Le Prophète nous dit aussi pourquoi nos yeux sont fixés sur le Seigneur, comme les yeux du serviteur sur les mains de son maître, et de la servante sur les mains de la maîtresse ; et comme si on lui demandait pourquoi ? « Jusqu’à ce qu’il nous prenne en pitié », répond-il. Quels sont, mes frères, les serviteurs que nous devons comprendre ici, qui ont les yeux sur les mains de leurs maîtres ; et quelles servantes ont les yeux sur les mains de leur maîtresse, jusqu’à ce que cette maîtresse les prenne en pitié ? Quels sont donc ces serviteurs et ces servantes qui ont ainsi les yeux sur les mains de leurs maîtres, sinon ceux qui sont condamnés au châtiment ? « Nos yeux sont tournés vers le Seigneur, jusqu’à ce qu’il nous prenne en pitié ». Comment cela ? Comme les yeux de l’esclave sur les mains de son maître, et comme les yeux de la servante sur la main de sa maîtresse. Donc les uns et les autres les tiennent fixés, jusqu’à ce que le maître ou la servante les prenne en pitié. Supposons un maître qui fait fouetter un esclave ; on frappe ce malheureux qui gémit sous les coups, et tend les yeux fixés sur les mains du maître, jusqu’à ce qu’il dise : C’est assez. Car la main ici a le sens de pouvoir. Que disons-nous donc, mes frères ? Nous sommes condamnés au châtiment par le Seigneur notre maître, par la sagesse de Dieu, notre maîtresse ; et nous sommes frappés en cette vie, et toute cette vie mortelle n’est pour nous qu’une longue plaie. Écoute la voix du psaume : « Vous instruisez l’homme par le châtiment, à cause de son iniquité, et vous faites sécher mon âme comme l’araignée[4] ». Voyez, mes frères, combien est faible une araignée ; le moindre choc la brise et lui donne la mort. Et de peur que nous n’en venions à croire que cette mortelle faiblesse n’atteint que notre chair, le Prophète ne dit point : Vous m’avez desséché, de peur qu’on n’appliquât cette expression à la chair, mais : Vous avez desséché mon âme comme l’araignée. Rien de plus faible, en effet, que notre âme au milieu des tentations du monde, au milieu des gémissements, et comme des douleurs de l’enfantement ; rien de plus faible qu’elle, jusqu’à ce qu’elle s’attache fortement à la solidité du ciel, qu’elle soit dans le temple de Dieu, d’où elle ne puisse tomber ; car, avant d’arriver à cette faiblesse et à cette langueur, elle est devenue infirme comme l’araignée, et a été chassée du paradis. Alors l’esclave a été condamné au fouet. Voyez, mes frères, depuis quel temps nous souffrons. Adam souffre, et dans tous ceux qui sont nés à l’origine du genre humain, et dans tous ceux qui vivent aujourd’hui, et dans tous

  1. Jn. 15,15
  2. Gal. 4,7
  3. Rom. 1,1
  4. Ps. 38,12