Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/402

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leur avait ordonné des sacrifices proportionnés à la grossièreté de leur esprit et à la dureté de leur cœur ; aussi immolaient-ils dans le temple des bœufs, des brebis et des colombes ; vous le savez, pour l’avoir lu. Ce n’était donc pas un grand mal de la part de ces marchands de vendre dans le temple ce qu’on leur achetait pour l’offrir ensuite dans le temple ; et cependant, Jésus-Christ les en chasse. Que ferait-il donc s’il trouvait ici des ivrognes ? Que ferait-il ? Ceux qui vendaient des choses permises par la loi, sans enfreindre les règles de la justice (car ce qu’on achète sans blesser l’honnêteté, se vend licitement), le Sauveur n’a pas hésité à les exclure du temple ; il n’a pas souffert que la maison de la prière devînt une maison de commerce. Si la maison de Dieu ne doit pas devenir une maison de négoce, doit-elle devenir une maison de débauche ? Quand nous parlons de la sorte, les coupables grincent des dents contre nous ; mais nous trouvons notre consolation dans les paroles du psaume que vous venez d’entendre : « Ils ont grincé des dents contre moi ». Nous savons aussi, par ce que nous entendons, nous guérir de leurs coups, bien qu’à vrai dire leurs fouets retombent sur Jésus-Christ ; car c’est sa parole qui est flagellée : « Leurs traits se sont réunis contre moi, et ils ne l’ont pas su ». Jésus-Christ a été flagellé par les fouets des Juifs, il est flagellé aujourd’hui par les blasphèmes des mauvais chrétiens ; ils multiplient les coups de fouet contre leur Seigneur, et ils ne le savent point. Faisons, nous autres, avec le secours de sa grâce, ce qui est marqué au même psaume : « Pour moi, lorsqu’ils m’étaient à charge, je me revêtais d’un cilice et j’humiliais mon âme dans le jeûne [1] ».
5. Disons-le pourtant, mes frères, Jésus-Christ n’a pas épargné les Juifs, et celui qui devait être flagellé par eux les a flagellés le premier. Et ce n’est pas sans vouloir nous signaler un mystère que, pour flageller ces indisciplinés qui faisaient du temple de Dieu une maison de commerce, il a composé un fouet avec de petites cordes. En effet, tout pécheur se fait à lui-même une corde de ses péchés. « Malheur », dit le Prophète, « à ceux qui traînent leurs péchés comme une longue corde[2] ». Quel est l’homme qui fait de ses péchés une longue corde ? C’est celui qui ajoute péché à péché. Comment ajoute-t-on péché à péché ? En recouvrant sous d’autres péchés les péchés déjà commis. Quelqu’un a volé : pour que son vol ne soit pas découvert, il s’adresse à un magicien. C’était assez d’avoir volé, pourquoi vouloir ajouter péché à péché ? En voilà deux. Lorsque ton évêque te détend d’avoir recours à un magicien, tu blasphèmes contre lui, voilà trois péchés. Lorsque tu l’entends dire : Mettez-le hors de l’Église, tu dis : Je vais m’engager dans le parti de Donat ; voilà un quatrième péché ajouté aux trois autres. La corde s’agrandit, prends-y garde. Lorsqu’elle sert ici-bas à te flageller, il est bon que tu te corriges, dans la crainte d’entendre, à la fin des siècles, ces paroles « Liez-lui les pieds et les mains et jetez-le dans les ténèbres extérieures ». « Car chacun est lié par la corde de ses péchés [3] ». La première de ces sentences est tirée de l’Évangile ; la seconde, d’un autre endroit de l’Écriture ; mais c’est le Seigneur qui les a prononcées toutes les deux : Les hommes sont liés par leurs péchés, et ils sont jetés dans les ténèbres extérieures.
6. Maintenant, quels sont ceux qui vendent les bœufs ? Cette action est comme une figure dont il nous faut chercher le sens mystérieux. Quels sont ceux qui vendent des brebis et des colombes ? Ce sont ceux qui recherchent leurs intérêts au lieu de rechercher ceux de Jésus-Christ[4]. Ceux-là sont prêts à tout vendre, qui ne souffrent pas qu’on les rachète ; ils ne veulent pas être achetés, et ils veulent vendre. Il leur serait pourtant bon d’être rachetés par le sang du Sauveur, car ils pourraient, par là, parvenir à la paix qui vient de lui. À quoi sert, en effet, de se procurer en ce monde quelque avantage passager et temporel, l’argent, le plaisir du gosier et du ventre, la gloire qui résulte des louanges humaines ? Qu’est-ce que tout cela ? Du vent et de la fumée : autant de choses qui passent et s’en vont avec la rapidité de l’éclair. Malheur à ceux qui s’attachent aux choses passagères, parce qu’ils passeront avec elles ! Qu’est-ce que tout cela ? Un torrent impétueux qui se précipite dans la mer. Malheur à ceux qui y tombent, parce qu’il les entraînera avec lui dans l’abîme ! Nous devons donc éloigner nos affections de pareils objets. Mes frères, ceux qui cherchent à se procurer ces

  1. Ps. 34, 13-16
  2. Isa. 5, 18, suiv. les Septante
  3. Mt. 22, 13
  4. Phil. 2, 21