Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/412

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d’individus appartiennent à cette catégorie, votre charité le sait. Les bons naissent des méchants : ainsi un adultère donne le baptême, mais celui qui le reçoit est justifié. Les méchants naissent des bons ; quelquefois ceux qui donnent le baptême sont saints, mais ceux qui le reçoivent ne veulent pas marcher dans a voie des commandements de Dieu.

9. Je le suppose, mes frères, on n’ignore pas dans l’Église ce que je viens de dire, et, tous les jours, des exemples viennent corroborer mes paroles. Considérons ce qui a eu lieu chez nos pères, les premiers chrétiens, et nous verrons que parmi eux, comme parmi nous, se sont rencontrées ces quatre sortes d’origines. Les bons naissent des bons : Ananie a baptisé Paul[1]. Comment les méchants naissent-ils des méchants ? L’Apôtre parle de certains prédicateurs de l’Évangile qui, suivant lui, ne l’annoncent pas avec des intentions pures, mais qu’il tolère dans la société chrétienne. « Qu’importe », ajoute-t-il, « pourvu que le Christ soit annoncé, de quelque manière que ce puisse être, soit par occasion, soit par un vrai zèle, je m’en réjouis [2] ». Était-il malveillant, et se réjouissait-il du mal d’autrui ? Non ; mais il parlait ainsi, parce que la vérité et le Christ étaient annoncés par l’organe même des méchants. Si ces derniers baptisaient de leurs pareils, les méchants baptisaient les méchants ; s’ils baptisaient de ceux qu’averti Jésus-Christ, lorsqu’il dit : « Faites ce qu’ils disent, mais ne faites pas ce qu’ils font [3] », les méchants baptisaient les bons. Enfin les bons baptisaient les méchants, comme il arriva lorsque Philippe baptisa Simon le Magicien [4]. Voilà donc bien quatre sortes d’origines, mes fières ; je les répète à nouveau, retenez-les, comptez-les, faites-en la distinction, évitez les mauvaises, conservez les bonnes. Les bons donnent naissance aux bons, lorsque les saints baptisent les saints ; les méchants donnent naissance aux méchants, lorsque baptisants et baptisés vivent dans l’impiété et l’injustice ; les méchants donnent la vie aux bons lorsque les baptisants sont mauvais et que les baptisés sont bons ; les bons engendrent les méchants, lorsque ceux qui baptisent étant bons, ceux qui sont baptisés vivent mal.
10. Comment reconnaître ces diverses catégories parmi les enfants de ces trois hommes dont Dieu dit : « Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob ? » Nous rangeons leurs servantes parmi les méchants, et leurs femmes libres parmi les bons ; ces dernières enfantent les bons : Sara met au monde Isaac[5] ; les servantes enfantent les méchants : Agar met au monde Ismaël[6]. Dans la seule famille d’Abraham, nous rencontrons la catégorie des bons engendrés par les bons, et celle des méchants engendrés par les méchants. Mais la naissance des méchants par le ministère des bons, où en est la figure ? Rébecca, femme d’Isaac, était une femme libre : lisez néanmoins. Elle a mis au monde deux jumeaux, dont l’un était bon et l’autre méchant. La sainte Écriture te le dit ouvertement par la voix de Dieu : « J’ai aimé Jacob et j’ai haï Esaü[7] ». Rébecca a donc eu ces deux fils : Jacob et Esaü ; l’un d’eux est choisi, l’autre est mis de côté ; l’un succède à l’héritage de son père, l’autre se voit déshérité. Dieu ne tire pas son peuple d’Esaü, il le tire de Jacob. Une même semence, fruits divers ; même sein, enfants différents ! La femme libre qui a enfanté Jacob n’est-elle pas la même qui a enfanté Esaü ? Ces deux jumeaux s’entrechoquaient dans le sein de leur mère ; au moment de cette lutte il a été dit à Rébecca : « Il y a deux peuples dans ton sein [8] ». Deux hommes, deux peuples : le peuple bon, le peuple méchant. Mais enfin, tous deux s’entrechoquaient dans le même sein. Combien de méchants se rencontrent dans l’Église ! Ils s’y trouvent avec les bons, dans le même sein, en attendant le moment suprême où se fera le discernement des uns et des autres. Les bons crient contre les méchants, les méchants se récrient contre les bons, et tous luttent ensemble dans les entrailles de la même mère. Y resteront-ils donc toujours ? À la fin on viendra à la lumière, le mystère de la naissance, annoncé ici en allégories, sera mis à découvert ; alors se vérifieront ces paroles : « J’ai aimé Jacob, et j’ai haï Esaü. »
11. Déjà, mes frères, nous avons remarqué la naissance des bons opérée par les bons : Isaac est né de la femme libre ; et celle des méchants opérée par les méchants : Ismaël est né de la servante ; celle des méchants

  1. Act. 9, 18
  2. Phil. 1, 18
  3. Mt. 23, 3
  4. Act. 8, 13
  5. Gen. 21, 3
  6. Id. 16, 15
  7. Mal. 1,2, 3 ; Rom. 9, 13
  8. Gen. 25, 22, 24