Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/439

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manière dont un père aime son fils, non à celle dont un maître aime son serviteur. Il l’aime comme Fils unique, et non comme Fils adoptif. C’est pourquoi « il a mis toutes choses entre ses mains ». Qu’est-ce à dire, toutes choses ? C’est-à-dire qu’il a donné au Fils d’être aussi grand que le Père lui-même. Il l’a engendré pour en faire son égal[1]. Celui qui était en la forme de Dieu a pu sans usurpation prétendre à l’égalité avec lui. « Le Père aime le Fils, et a mis toutes choses entre ses mains[2] ». Ainsi le Père a daigné nous envoyer son Fils. Mais ne pensons pas qu’il nous ait envoyé moins que lui. En envoyant son Fils, le Père nous a envoyé un autre lui-même.
12. Telle fut l’erreur dans laquelle étaient tombés les disciples du Sauveur ; ils voyaient en lui un homme sans y découvrir encore un Dieu. Aussi lui dirent-ils : « Seigneur, montrez-nous le Père, et il nous suffit ». C’était lui dire : Déjà nous vous connaissons, nous vous bénissons de cette connaissance, nous vous rendons grâces de vous être montré à nous ; mais votre Père, nous ne le connaissons pas encore ; aussi notre cœur est-il tourmenté par un saint désir de voir le Père qui vous a envoyé. Montrez-le-nous donc et nous ne vous demanderons plus rien nous serons contents lorsqu’une fois nous aurons vu celui dont la grandeur ne peut être surpassée par aucune autre grandeur. Précieux désir, souhait digne d’éloges, mais intelligence bornée. Le Seigneur Jésus, voyant ces hommes si petits se mettre en quête de si grandes choses, comparant sa propre grandeur à leur petitesse, considérant d’ailleurs qu’il s’était fait petit pour se placer à leur niveau, répondit à Philippe, celui de ses disciples qui lui avait parlé de la sorte « Depuis si longtemps je suis avec vous, Philippe, et vous ne me connaissez pas ? » Et comme ici Philippe aurait pu lui répondre : Sans doute, nous vous connaissons, mais est-ce que nous vous avons dit : Montrez-vous à nous ? nous vous connaissons, mais nous cherchons aussi à connaître votre Père ; il ajoute aussitôt : « Celui qui m’a vu a vu mon Père ». Si donc c’est l’égal du Père qui nous a été envoyé, ne jugeons pas de lui d’après la faiblesse de son humanité, songeons au contraire que si sa majesté s’est revêtue de notre chair, elle n’en est pas accablée. En effet, Jésus-Christ comme Dieu est resté dans le sein de son Père, il s’est fait homme au milieu des hommes, afin que par le Dieu fait homme nous devinssions capables de connaître Dieu. Pourquoi l’homme ne pouvait-il connaître Dieu ? Parce qu’il était dépourvu de ces yeux du cœur qui pouvaient le lui faire voir. Il y avait, au dedans de lui, une partie malade, et, au-dehors, une partie saine : les yeux de son corps étaient sains, ceux de son cœur étaient malades. Le Fils de Dieu s’est donc fait homme et s’est rendu visible aux yeux du corps. Par là tu devais croire en celui qui se montrait à toi, et devenir assez sain pour apercevoir des yeux de l’âme, celui que tu ne pouvais ainsi voir auparavant. « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et vous ne me connaissez pas ? Philippe, celui qui m’a vu, a aussi vu mon Père ». Pourquoi ses disciples ne le voyaient-ils pas ? Ils le voyaient, mais ils ne voyaient pas son Père ; ils voyaient son corps, mais sa majesté se dérobait à leurs yeux. Ce que voyaient ses disciples qui l’aimaient, les Juifs qui l’ont crucifié le voyaient également, c’était à l’intérieur que Jésus-Christ se trouvait tout entier ; mais il était tout entier à l’intérieur dans sa chair, de telle façon qu’il demeurait aussi en son Père ; car il n’a pas abandonné son Père quand il s’est incarné.
13. Les intelligences charnelles ne comprennent pas mes paroles ; qu’elles remettent à plus tard pour comprendre et qu’elles commencent déjà par croire. Qu’elles écoutent ce qui suit : « Celui qui croit au Fils a la vie éternelle ; mais celui qui ne croit pas au Fils ne verra pas la vie, mais la colère de Dieu demeure sur lui ». Tous ceux qui naissent sujets à ! a mort, portent avec eux la colère de Dieu. Quelle colère de Dieu ? celle qui est tombée dès le principe sur Adam. En effet, le premier homme est devenu pécheur, et il a entendu cette condamnation : « Tu mourras de mort [3] » ; il est donc devenu mortel ; dès lors les hommes furent sujets à mourir par le fait de leur naissance ; car nous sommes nés sous le poids de la colère de Dieu. C’est de cette source qu’est sorti le Fils de Dieu, n ais sans en apporter avec lui le péché : il s’est incarné, mais il a pris notre condition mortelle. Après qu’il a bien voulu partager avec nous le fardeau de la colère de Dieu, nous montrerons-nous lents à partager

  1. Phil. 2, 6
  2. Jn. 14, 8-9
  3. Gen. 2, 17