Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/447

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

en inspirer le dégoût. Mais dès que l’entendement pénétré par la sagesse a pris le gouvernement de l’âme, il ne lui apprend plus uniquement à éviter les fossés et à suivre le chemin droit que les yeux indiquent à son âme débile, ou à écouter avec plaisir les sons mélodieux et à fermer les oreilles aux sons discordants, à se complaire aux odeurs agréables et à repousser les odeurs nauséabondes, à aimer le miel et à détester le vinaigre, à toucher avec plaisir ce qui est poli et à éprouver une sensation désagréable au contact des aspérités. Toutes ces connaissances, l’âme infirme en avait besoin. Dans quel sens l’entendement y ajoute-t-il sa direction ? Il vient discerner, non plus le blanc du noir, mais le juste de l’injuste, le bien du mal, l’utile de l’inutile, la chasteté de l’impudicité, l’une pour l’aimer, l’autre pour la fuir ; la charité de la haine, la première pour y demeurer, la seconde pour s’en garantir.
22. Chez cette femme, les cinq premiers maris n’avaient pas encore cette sorte de successeur ; car, où l’entendement ne succède pas aux sens, là règne l’erreur, elle domine en maître. En effet, dès qu’elle commence à devenir capable de raisonner, l’âme se laisse conduire par la sagesse ou par l’erreur. Or, l’erreur ne gouverne pas, elle conduit aux abîmes. Après avoir subi l’empire de ses sens, cette femme était donc encore en butte à l’erreur, et l’erreur la ballottait comme aurait fait un vent violent. Cette erreur n’était pas un mari légitime, mais un adultère ; c’est pourquoi le Seigneur lui répond : « Tu as dit avec justesse : Je n’ai pas de mari, car tu as eu cinq maris ». Les cinq sens de ton corps ont été tes maîtres ; tu es parvenue à l’âge de raison, mais non à la sagesse ; tu es tombée dans l’erreur : aussi, « après ces cinq maris, celui que tu as maintenant n’est pas ton mari ». Mais s’il n’était pas le mari, qu’était-il donc, sinon un adultère ? « Appelle-le », non « l’adultère,», mais « ton mari », afin de m’entendre selon l’Esprit, et non selon l’erreur qui te donnerait de moi de fausses idées. En effet, c’était de la part de cette femme une erreur de penser à l’eau du puits de Jacob, quand c’était du Saint-Esprit que lui parlait le Seigneur. Pourquoi se trompait-elle, sinon parce qu’elle vivait avec un adultère, au lieu de vivre avec son mari légitime ? Débarrasse-toi donc de cet adultère qui te corrompt : « va, et appelle ton mari ». Appelle-le et reviens, et tu me comprendras.
23. « Cette femme lui dit : « Seigneur, je vois que vous êtes un prophète ». Voici que le mari commence à venir, mais il n’est pas encore tout à fait venu. Elle jugeait que le Seigneur était un prophète. Sans doute, il en était un ; car il a dit de lui-même « Nul Prophète n’est bien reçu dans son pays [1]. Dieu avait encore dit de lui à Moïse : « Je leur susciterai d’entre leurs frères un Prophète semblable à toi [2] ». Semblable par la forme du corps, mais bien différent sous le rapport de la grandeur. Nous voyons donc que Notre-Seigneur a été appelé Prophète dans les temps anciens ; la Samaritaine ne se trompe donc pas beaucoup lorsqu’elle dit : « Je vois que vous êtes un Prophète ». Par cette réponse, elle commence à appeler son mari et à chasser l’adultère : « Je vois que vous êtes un Prophète ». Elle commence ainsi à rechercher ce qui avait coutume de l’émouvoir ; car l’objet de la dispute entre les Samaritains et les Juifs, c’était que les Juifs adoraient Dieu dans le temple construit par Salomon, tandis que les Samaritains, éloignés de ce temple, adoraient Dieu ailleurs. En conséquence, les Juifs se vantaient de leur être supérieur, parce qu’ils adoraient Dieu dans le temple. « Les Juifs n’ont donc aucun commerce avec les Samaritains ». Et ceux-ci, de leur part, répliquaient par cette réponse : Pourquoi vous vanter et vous dire supérieurs à nous ? Parce que vous avez un temple que nous n’avons pas ? Nos pères ont été aimés de Dieu, et pourtant l’ont-ils adoré dans ce temple ? N’était-ce pas sur cette montagne où nous nous trouvons ? Adressées à Dieu du haut de cette montagne, nos prières sont donc préférables aux vôtres, puisque c’est là que nos pères ont eux-mêmes prié. Les uns et les autres trouvaient dans leur ignorance ample motif à dispute, parce qu’ils n’étaient pas avec le mari. Ceux-ci étaient fiers de posséder leur montagne ; ceux-là d’avoir leur temple ; de là leur mutuel antagonisme.
24. Comme si cette femme commençait à avoir son mari auprès d’elle, le Sauveur se met à l’instruire ; et que lui dit-il ? « Elle lui dit : Seigneur, je vois que vous êtes un Prophète. Nos pères ont adoré Dieu sur cette montagne, et vous autres vous dites que le

  1. Lc. 4, 24
  2. Deut. 18, 18