Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/470

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corps d’avec leurs émanations fétides ; le goût lui sert à savourer les douceurs et à reconnaître les amers ; au moyen du tact, elle fait la différence entre les surfaces polies et les autres ; enflai, elle se suffit à elle-même pour apprécier le juste et l’injuste. Elle voit et entend tout ensemble, elle porte des jugements sur tous les êtres matériels, et elle discerne même ce à quoi ne peuvent atteindre les sens du corps, c’est-à-dire, la justice et l’injustice, le bien et le mal. Montre-moi ses yeux, ses oreilles, son organe de l’odorat. Son appréciation s’exerce sur une foule d’objets, et pourtant nous n’apercevons point en elle différents sens. En ton corps se trouvent, ici l’organe de la vue, là celui de l’ouïe : en ton âme se rencontrent, en même temps et à la même place, et l’ouïe et la vue. S’il en est ainsi de l’image, n’en est-il pas, à plus forte raison, ainsi de celui qu’elle représente ? Donc, le Fils voit et entend ; je dis plus : il est la vue et l’ouïe mêmes ; en lui, voir et entendre, c’est être. En toi, la vue est chose distincte de l’existence ; car tu peux perdre la vue sans perdre la vie, comme tu peux cesser d’entendre sans cesser de vivre.
11. Pensons-nous avoir déjà frappé ? Notre intelligence s’est-elle suffisamment éveillée pour nous laisser soupçonner d’où lui vient la lumière ? Je le suppose, mes frères ; car, à parler de pareilles choses et à les méditer, nous nous exerçons. Et lorsque nous nous y exerçons, et qu’entraînés par notre faiblesse naturelle nous retombons dans notre premier état, nous ressemblons à des personnes dont les yeux chassieux sont mis tout à coup en présence de la lumière, après y avoir été jusqu’alors fermes et avoir été déjà soignés par les médecins. Quand un homme de l’art veut savoir si la guérison s’opère et à quel point elle en est arrivée, il essaie de présenter à l’organe malade ce qu’on veut contempler, et ce qu’on ne pouvait voir pendant qu’on était aveugle : si peu que la prunelle de l’œil s’éclaircisse, dès qu’elle aperçoit la lumière, les rayons s’en réfléchissent en elle, et elle donne ainsi au praticien la réponse qu’il attendait. Que fait-il alors ? il force les yeux à se fermer comme auparavant, et il y applique un collyre : par là, il inspire en quelque sorte aux malades le désir de contempler les objets qu’ils ont aperçus sans pouvoir les distinguer parfaitement ; ainsi les dispose-t-il à guérir d’une manière complète ; en faisant emploi des mordants pour leur rendre la santé, il allume en eux l’amour de la lumière et les porte, par un effort suprême, à se dire : Quand donc pourrai-je fixer ma vue sur ces objets, sur lesquels je n’ai pu arrêter encore mes regards trop affaiblis par l’infirmité ? ils pressent le médecin de prendre soin d’eux et de les guérir. Quelque chose de pareil à cela, mes frères, s’est peut-être opéré dans vos âmes ; vous avez élevé vos pensées pour voir le Verbe ; puis, après avoir reçu un rayon de sa lumière, vous êtes retombés dans votre première ignorance. Prions le céleste médecin de nous appliquer de mordants collyres, c’est-à-dire de nous imposer les règles de la justice. Il y a quelque chose à voir, mais l’organe qui nous aidera à le voir nous fait défaut. Lorsque, précédemment, je te disais qu’il y a quelque chose à voir, tu ne me croyais pas : conduit par certaines réflexions, tu as été amené en sa présence, tu t’en es approché, tes regards se sont dirigés de ce côté-là, ton cœur a palpité, puis tu as reculé. Oui, il y a quelque chose à voir, et tu le sais pertinemment ; mais, tu ne l’ignores pas davantage, tu n’es pas capable de le contempler. Il put donc te guérir. Mais quels collyres employer ? Il ne faut ni mentir, ni parjurer, ni commettre l’adultère, ni voler, ni te rendre coupable de fraude. Cependant tu en as contracté l’habitude, et il t’en coûte de la contrarier ; et c’est précisément ce sacrifice pénible qui te rendra la vue. Car, je te le dis en toute liberté, et sous l’impression d’une crainte que je voudrais te faire partager : Si tu abandonnes ta cure, si tu négliges de guérir tes yeux et de les rendre propres à jouir de la lumière, tu aimeras les ténèbres, et cette prédilection pour l’obscurité l’y fera persévérer, et, en y persévérant, tu mériteras d’être précipité môme dans les ténèbres extérieures, où il y aura des pleurs et des grincements de dents[1]. Si l’amour de la lumière est incapable de te porter vers elle, du moins que la crainte de la douleur opère en toi cet effet.
12. À mon avis, j’ai suffisamment parlé, et pourtant je n’ai pas fini d’expliquer cette leçon de l’Évangile. Si je voulais achever ma tâche, je vous fatiguerais et j’aurais lieu de craindre que vous veniez à perdre l’eau vive que vous avez puisée : que ceci suffise donc à

  1. Mt. 22, 13