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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/534

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pas entre vous » ; ce qui voulait dire : Je le vois bien, vous n’éprouvez aucun désir pour ce pain ; vous n’avez nulle idée de ce qu’il est ; vous ne cherchez pas à vous le procurer. « Ne murmurez pas entre vous : nul ne peut venir à moi, si le Père, qui l’a envoyé, ne l’attire ». Admirable éloge de la grâce : Nul ne vient sans être attiré. Qui attire-t-il ? Qui n’attire-t-il pas ? Pourquoi attire-t-il celui-ci ? Pourquoi n’attire-t-il pas celui-là ? Autant de questions desquelles tu ne dois pas t’établir juge, si tu ne veux pas te tromper. Je te le dis une fois pour toutes : saisis bien ma pensée. Dieu ne t’attire rias encore ? Prie-le de le faire. Mes frères, que disons-nous ? Si nous sommes attirés vers le Christ, nous croyons donc en lui malgré nous : on nous fait donc violence, et notre volonté reste étrangère à notre acte de foi ? Un homme peut entrer à l’Église, s’approcher de l’autel, recevoir le sacrement, sans aucun consentement de sa part ; mais, pour croire, il faut nécessairement le libre concours de la volonté. Si la foi venait du corps, elle pourrait se trouver en des hommes qui n’y acquiesceraient nullement ; mais elle ne vient pas de là. Écoute l’Apôtre : « On croit par le cœur ». Et il ajoute : « Et l’on confesse par la bouche, pour parvenir au salut [1] ». Cette confession procède du fond du cœur, Les hommes qui font leur profession de foi ne sont pas rares : Tu as parfois entendu des hommes qui font leur profession de foi ; mais tu ne connais pas quel est celui qui ne croit pas réellement, et tu ne peux donner le nom de confesseur de la foi à l’homme que tu reconnais comme incroyant ; car la confession consiste à dire ce que pense réellement le cœur : si tu dis le contraire de ce que tu penses intérieurement, tu parles, mais tu ne fais pas de profession de foi. C’est donc par le cœur que l’on croit au Christ : personne ne le fait contre son gré, et, pourtant, il semblerait que celui qui y est attiré, le fait malgré lui, et forcément. Comment résoudre la difficulté que présente ce passage : « Nul ne vient à moi, si le Père, qui m’a envoyé, ne l’attire ? »
3. Quiconque est attiré, dira quelqu’un, marche à contre-cœur. S’il marche à contrecœur, il ne croit pas ; et s’il ne croit pas, il ne marche pas davantage. Ce n’est pas, en effet, par la marche que nous nous approchons du Christ : c’est par la foi ; pour cela, nous n’avons pas de mouvement à imprimer à notre corps : il suffit d’avoir au cœur de la bonne volonté. Voilà pourquoi cette femme, qui toucha la robe du Sauveur, la toucha plus que la foule qui se pressait autour de lui. Aussi Jésus dit-il : « Qui est-ce qui m’a touché ? » Les disciples étonnés lui répondirent : « La multitude vous presse, et vous demandez qui vous a touché ? » Et il répéta : « Quelqu’un m’a touché[2] ». La femme le louche, la multitude le presse ; que veut donc dire ce mot : « M’a touché », sinon : a cru ? De là vient encore que, après sa résurrection, le Christ s’adressa en ces termes à cette autre femme qui voulait se jeter à ses pieds : « Ne me touche pas, car je ne suis pas encore « monté vers mon Père[3] ». À ton avis, je ne suis que ce que tu me vois ; ne me touche pas. Quel est le sens de ces paroles ? Selon ton idée, je ne suis pas autre que ce que je te semble être. Ne t’y trompe pas, il n’en est pas ainsi, c’est-à-dire : « Ne me touche pas, car je ne suis point encore remonté vers mon Père ». Pour toi, je ne suis pas monté vers mon Père, car je ne me suis jamais séparé de lui. Elle ne touchait point le Sauveur, quand il était sur la terre ; comment le toucherait-elle au moment de son retour vers son Père ? C’est ainsi, néanmoins, c’est de cette manière qu’il a voulu être touché ; ainsi l’est-il par tous ceux qui le touchent bien, quoiqu’il monte au ciel, qu’il demeure en son Père, et qu’il lui soit égal.
4. Reporte ton attention sur ces paroles : « Nul ne vient à mol, si mon Père ne l’attire ». Ne t’imagine pas que tu sois attiré malgré toi ; car l’amour entraîne les âmes. Il est des hommes qui pèsent le sens de toutes les paroles, et qui sont loin de comprendre toutes choses, surtout les choses de Dieu ; mais nous n’avons nullement à craindre de les voir nous reprocher ce passage des saintes Écritures qui se trouve dans l’Évangile, et nul d’entre eux ne nous dira Si je suis entraîné, comment pourrai-je avoir une foi parfaitement libre ? Car je le dis : ce n’est pas assez d’être entraînés volontairement, nous le sommes encore avec plaisir. Qu’est-ce, en effet, qu’être entraîné avec plaisir ? « Mets tes délices dans le Seigneur, et il remplira tous les désirs de ton

  1. Rom. 10, 10
  2. Lc. 8, 44-46
  3. Jn. 20, 17