Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/538

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avaient pas davantage ; s’ils murmuraient, les seconds murmuraient aussi. Et l’on peut dire que si jamais le peuple d’Israël a offensé son Dieu, ç’a été en murmurant contre lui. Aussi, pour montrer que ceux à qui il parlait étaient bien les fils des Juifs du désert, le Sauveur commence-t-il par leur dire : Murmurateurs, enfants d’un peuple qui a murmuré, « pourquoi murmurer entre vous ? Vos pères ont mangé la manne dans le désert, et ils sont morts », non pas que la manne fût chose mauvaise, mais parce qu’ils l’ont mangée en mauvaises dispositions.
12. « C’est ici le pain qui est descendu du ciel ». Ce pain a été figuré par la manne, et aussi par l’autel du Très-Haut. La manne et l’autel étaient des figures : différents en apparence, ils signifiaient une même chose. Écoute les paroles de l’Apôtre : « Car vous ne devez pas ignorer, mes frères, que nos pères ont tous été sous la nuée, qu’ils ont tous passé la mer Rouge, et qu’ils ont tous été baptisés sous la conduite de Moïse dans la nuée et dans la mer, et qu’ils se sont tous nourris du même aliment spirituel ». En fait de nourriture spirituelle, nous avons tous la même : que s’il s’agit de la nourriture matérielle, ils ont eu la manne, et nous, une autre ; si, au contraire, il est question de la nourriture spirituelle, ils ont eu la même que nous. Mais nos pères se sont montrés bien différents des leurs : nous ressemblons à nos frères, et ils sont animés d’un esprit tout opposé. L’Apôtre ajoute : « Et qu’ils ont bu le même breuvage spirituel ». À eux, un breuvage ; à nous, un autre : breuvages d’apparences diverses, mais représentant la même chose par leur vertu mystérieuse. Mais comment était-ce « le même breuvage ? Parce qu’ils buvaient de l’eau de la pierre mystérieuse, eau qui les suivait : et cette pierre « était Jésus-Christ [1] ». En figure, le Christ était Pierre ; en réalité, il était Verbe et homme. Et comment ont-ils bu de cette eau ? La pierre a été frappée de deux coups de verge [2] ; ces deux coups de verge ne sont autres que les deux bras de la croix. « C’est donc ici le pain qui est descendu du ciel, afin que si quelqu’un en mange, il ne meure point ». Mais il faut bien le remarquer, il s’agit ici du sacrement comme vertu, et non du sacrement comme chose visible ; de celui qui le reçoit intérieurement, et non de celui qui le reçoit seulement à l’extérieur ; du chrétien qui en fait l’aliment de son cœur, et non du chrétien qui se borne à une manducation purement physique.
13. « Je suis le pain vivant qui est descendu du ciel ». Il est vivant, précisément parce qu’il est descendu du ciel. La manne était aussi descendue du ciel, mais elle n’était que l’ombre, tandis que le pain est la réalité. « Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement, et le pain que je donnerai pour la vie du monde, c’est ma chair ». Eh quoi ! la chair serait-elle jamais de telle nature qu’on puisse donner à du pain le nom de chair ? On appelle chair ce que ne comporte pas la nature de la chair, et elle le comporte d’autant moins, qu’on appelle de ce nom ce qui ne l’est pas. Les Juifs frémirent d’horreur en entendant ces paroles ; ils se dirent les uns aux autres que c’était exorbitant ; ils prétendirent que c’était impossible. « C’est », dit le Sauveur, « ma chair qui sera donnée pour le salut du monde ». Les fidèles savent ce que c’est que le corps du Christ, s’ils ont soin d’en faire partie. Qu’ils deviennent donc le corps du Christ, s’ils veulent vivre de son Esprit. Il n’y a, pour vivre de l’Esprit du Christ, que son corps. Mes frères, saisissez bien le sens de mes paroles. Dès lorsque tu es un homme, tu as un esprit et un corps. Sous le nom d’esprit, je désigne ce qu’on appelle l’âme, ce qui fait que tu es homme ; car tu es composé d’un corps et d’une âme. Dis-moi lequel des deux fait vivre l’autre ? Ton esprit puise-t-il sa vie en ton corps ? ou ton corps trouve-t-il la sienne en ton esprit ? Tout homme vivant répond à une telle question ; pour celui qui sent ait incapable d’y répondre, je ne sais, à vrai dire, s’il vit. Tout homme vivant répond donc : Il ne saurait y avoir de doute à cet égard : c’est mon esprit qui fait vivre mon corps. Si, maintenant, tu veux toi-même ; ivre de l’Esprit du Christ, sois l’un de ses membres. Serait-ce, en effet, ton esprit qui ferait vivre mon corps ? Certainement non ; mon esprit fait vivre mon corps, ton esprit fait vivre le tien. Pour le corps du Christ, il ne peut vivre que de l’esprit du Christ. Voilà pourquoi, en nous parlant de ce pain, l’apôtre saint Paul s’exprime ainsi : « Nous ne sommes tous qu’un seul pain et un seul corps ». O profond mystère

  1. 1 Cor. 10, 1-4
  2. Nb. 20, 11