Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/554

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Cette doctrine n’est pas la mienne ; mais il dit : « Ma doctrine ne vient pas de moi ». Si cette doctrine ne vient pas de vous, comment est-elle la vôtre ? Et si elle est la vôtre, comment se fait-il qu’elle ne vienne pas de vous ? Vous dites pourtant l’un et l’autre : « C’est ma doctrine, elle ne vient pas de moi ». Si Jésus avait dit : Celte doctrine n’est pas la mienne, il n’y aurait aucune difficulté. Mais, mes frères, examinez d’abord la difficulté, puis attendez-en la solution raisonnée ; car celui qui ne comprend pas bien l’état de la question, est-il à même d’en bien saisir la solution ? Voici donc l’état de la question. Le Sauveur dit : « Ma doctrine ne vient pas de moi » ; ces mots : « Ma doctrine », semblent être en contradiction avec ces autres : « Ne vient pas de moi ». Rappelons-nous bien ce que l’écrivain sacré dit au commencement de son Évangile : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu [1] ». De là sort la solution de la difficulté. Quelle est la doctrine du Père, sinon son Verbe ? Le Christ est donc la doctrine du Père, s’il en est le Verbe ; mais parce que le Verbe est la propriété de quelqu’un, parce qu’il est impossible qu’il n’appartienne à personne, il s’est appelé lui-même sa doctrine, et il a dit qu’elle ne vient pas de lui ; car il est le Verbe du Père. Y a-t-il, en effet, quelque chose qui t’appartienne plus que toi-même ? Y a-t-il rien qui t’appartienne moins que toi-même, si tu tiens d’un autre ce que tu es ?
4. Le Verbe est donc Dieu ; il est aussi le Verbe, l’expression d’une doctrine stable, qui ne passe point et ne s’évanouit nullement avec des mots, mais qui demeure avec le Père. Puissent des paroles qui passent nous instruire de cette doctrine ! Puissions-nous en subir la bienfaisante influence ! Ces sons passagers ne frappent point nos oreilles pour nous appeler à des choses transitoires ; elles nous engagent à aimer Dieu. Toutes les paroles que je viens de vous adresser sont dei mots : elles ont frappé et fait vibrer l’air, pour arriver jusqu’à vous par le sens de l’ouïe ; elles ont passé en faisant du bruit ; mais ce que je vous ai dit, par leur intermédiaire, ne doit point passer ; car celui que je vous ai recommandé d’aimer, ne passe pas ; et quand, excités par des sons d’un moment vous vous serez portés vers lui, vous ne passerez pas non plus, car vous serez unis d’une manière permanente à Celui qui demeure toujours. Dans un enseignement, ce qui est grand, élevé et éternel, c’est ce qui dure ; voilà où nous appelle tout ce qui passe dans le temps, pourvu qu’il s’y attache un sens vrai, et non une signification menteuse. Tout ce que nous donnons à entendre par les sons de notre voix a une signification distincte de ces sons matériels. Ainsi, les deux syllabes dont se compose le mot Dieu, Deus, ne sont pas Dieu ; nous ne rendons aucun culte à ces deux syllabes, nous ne les adorons pas ; ce n’est pas jusqu’à elles que nous désirons parvenir : on a fini de les entendre, pour ainsi dire, avant d’avoir commencé, et il n’y a place pour la seconde que quand la première est passée. Le son de voix par lequel nous disons : Dieu, ne dure pas, mais il y a, pour demeurer toujours, quelque chose de grand, c’est le Dieu dont on fait retentir le nom. Tel est le point de vue sous lequel vous devez envisager la doctrine du Christ ; ainsi parviendrez-vous jusqu’au Verbe de Dieu ; et quand vous y serez parvenus, rappelez-vous que « le Verbe était Dieu », et vous verrez que cette parole : « Ma doctrine », est vraie. Rappelez-vous aussi de qui le Christ est le Verbe, et vous comprendrez toute la justesse de cette autre parole : « Ne vient pas de moi ».
5. Je le dis donc brièvement à votre charité : il me semble que par ces paroles : « Ma doctrine ne vient pas de moi », le Seigneur Jésus s’est exprimé dans le même sens que s’il avait dit : Je ne viens pas de moi-même. En effet, quoique nous disions et croyions le Fils égal au Père ; quoique nous reconnaissions qu’il n’y a entre eux aucune différence de nature et de substance ; quoique enfin l’éternité appartienne aussi bien au Fils engendré qu’au Père son générateur, nous disons, cette réserve faite et bien entendue : Ce qu’est le Père, le Fils l’est aussi : le Père n’existe pas sans le Fils, comme le Fils n’existe pas sans le Père. Le Fils est Dieu, et il vient du Père ; le Père est Dieu, mais il ne vient pas du Fils. Il est le Père du Fils, mais il n’est pas Dieu venant du Fils ; tandis que le Fils est le Fils du Père ; il est Dieu venant du Père, car on appelle Notre-Seigneur Jésus-Christ Lumière de Lumière. La Lumière qui ne vient pas de la Lumière, et la Lumière

  1. Jn. 1, 1