Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/579

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

à l’Orient, tu iras à l’Occident. Sur terre, tu te tromperas en le prenant pour guide ; il en sera de même du navigateur qui réglera sur lui sa course à travers l’Océan. Si, au contraire, tu as formé le dessein de te diriger dans le même sens que le soleil, et d’aller, comme lui, vers l’Occident, il nous sera facile de voir, après son coucher, si tu ne marches pas dans les ténèbres. Remarque-le, en effet : il te quittera lors même que tu ne voudrais pas le quitter ; il te laissera en arrière, pour fournir sa course et obéir aux ordres de celui à qui il est forcément soumis. Quoiqu’il n’apparût point aux yeux de tous, à cause du nuage de sa chair qui leur voilait ses rayons, Notre-Seigneur Jésus-Christ éclairait toutes choses par la puissance de sa sagesse. Ton Dieu est partout tout entier, et si tu ne te sépares point de lui, jamais ce soleil éternel ne se couchera pour toi.
7. Aussi, dit-il, « celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de vie ». Ce qu’il a promis ne se réalisera, comme l’indiquent ses paroles, que dans l’avenir ; car il ne dit pas : Cet homme a la lumière de vie, mais : « il aura la lumière de vie ». Toutefois, il ne dit pas non plus : Celui qui me suivra, mais : « Celui qui me suit ». Ce que nous devons faire, il nous faut, d’après ses expressions, l’accomplir dès maintenant ; mais il nous donne à entendre que la récompense par lui promise à nos mérites ne nous sera accordée que plus tard. « Celui qui me suit aura la lumière de vie ». Aujourd’hui, on le suit : on jouira, plus tard, de la lumière : aujourd’hui, on le suit par la foi ; dans le siècle futur, on possédera la lumière en la voyant à découvert. « Pendant que nous habitons dans ce corps, nous marchons hors du Seigneur ; car nous n’allons vers lui que par la foi, et nous ne le voyons pas encore à découvert[1] ». Quand le verrons-nous face à face ? Lorsque nous aurons la lumière de vie, lorsque nous serons parvenus à la vision intuitive, et que la nuit du temps présent se sera écoulée. De ce jour qui doit se lever plus tard, il a été dit : « Dès le matin, je paraîtrai en votre présence, et nous contemplerai[2] ». Qu’est-ce à dire « Dès le matin ? » Quand la nuit de cette vie terrestre sera écoulée, lorsque nous n’aurons plus à redouter aucune tentation, après que nous aurons triomphé de ce lion qui tourne autour de nous pendant la nuit, en rugissant et en cherchant une victime qu’il puisse dévorer[3]. « Dès le matin je paraîtrai en votre présence, et je vous contemplerai ». Maintenant, mes frères, qu’avons-nous de mieux à faire pour le moment, si ce n’est ce que dit encore le Psalmiste : « Toutes les nuits, ma couche sera baignée de mes pleurs, et mon lit arrosé de mes larmes[4] ». Je pleurerai, dit-il, pendant toutes les nuits ; le désir de voir venir le jour me consumera. Dieu en connaît l’ardeur ; car, ailleurs, le Roi-Prophète lui dit encore : « Seigneur, tous mes désirs sont en votre présence et les désirs de mon cœur ne vous sont point cachés[5] ». Si tu désires de l’or, on peut s’en apercevoir ; car les recherches que tu en feras seront manifestes pour tous ceux qui te verront. Désires-tu du froment ? Tu exprimes certainement à quelqu’un les pensées de ton âme ; tu lui fais connaître l’objet de tes désirs. Mais si tu souhaites posséder Dieu, en est-il un autre que Dieu pour le savoir ? Tu demandes la possession de Dieu, comme tu demandes du pain, de l’eau, de l’or, de l’argent, du froment ; mais à qui demandes-tu de le voir et de le posséder, sinon à lui-même ? C’est à celui qui a promis la possession de lui-même, qu’on demande de le posséder. Que ton âme donne de l’ampleur à ses aspirations ; qu’elle s’étende en quelque sorte, pour essayer de contenir ce que l’œil n’a point vu, ce que l’oreille n’a point entendu, ce que le cœur de l’homme n’a jamais compris[6]. Il est possible de le désirer, d’en faire l’objet de ses plus ardentes aspirations et de ses soupirs ; y penser dignement, l’expliquer par des paroles, jamais.
8. Mes frères, le Sauveur a donc dit ces quelques mots : « Je suis la lumière du monde ; celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de vie » ; et par là il n voulu, d’une part, nous donner un précepte, et, de l’autre, nous faire une promesse. Aussi devons-nous accomplir ses ordres, afin de ne point désirer impudemment la réalisation de ses promesses ; afin qu’il ne nous dise pas, lorsqu’il viendra nous juger : As-tu fait ce que j’ai commandé, pour avoir le droit de me demander ce que je t’ai promis ? Seigneur, notre Dieu, que m’avez-vous donc ordonné ? – De me suivre. N’as-tu pas demandé

  1. 2 Cor. 5, 6-7
  2. Ps. 5, 5
  3. 1 Pi. 5, 8
  4. Ps. 6,7
  5. Id. 37, 10
  6. 1 Cor. 2, 9