Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/598

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Comment le Verbe de Dieu pourrait-il être soumis à la fatalité, lui en qui se trouvent toutes les créatures ? Avant de créer le monde, Dieu ignorait-il ce qu’il a établi depuis ? Ce qu’il a fait était dans son Verbe. Le monde a été créé : il a été fait, et néanmoins il était dans le Verbe. Comment a-t-il été créé sans cesser d’être dans le Verbe ? Le voici. La maison que bâtit un architecte, se trouvait d’abord dans son plan ; et elle s’y trouvait dans un état préférable, car elle n’y était exposée ni à vieillir, ni à tomber en ruines : cependant, pour faire connaître son plan, l’architecte bâtit la maison, et un édifice sort, en quelque manière, d’un autre édifice, et s’il vient à s’écrouler, le plan n’en subsiste pas moins. Ainsi, tout ce qui a été créé se trouvait-il dans le Verbe de Dieu, parce que Dieu a fait toutes choses dans sa sagesse[1], et il les a étalées à nos yeux. Ce n’est point parce qu’il les a faites qu’il a appris à les connaître : il les a créées, parce qu’il les connaissait d’avance : elles ont été tirées du néant ; voilà pourquoi nous les connaissons : nous ne les connaîtrions pas, si elles n’avaient pas été faites. Le Verbe était donc avant elles. Mais qu’y avait-il avant le Verbe ? Absolument rien. S’il y avait eu quelque chose, l’Évangéliste aurait dit, non pas qu’ « au commencement, était le Verbe », mais qu’au commencement le Verbe a été fait. Enfin, qu’est-ce que Moïse dit de l’univers ? « Au commencement, Dieu a fit le ciel et la terre [2] ». Il fit ce qui n’était pas : s’il fit ce qui n’était pas, qu’y avait-il donc avant la création ? « Au commencement a était le Verbe ». Et d’où sont venus le ciel et la terre ? « Toutes choses ont été faites par lui[3] ». Et tu places le Christ sous l’empire d’un sort ? Où sont les sorts ? – Dans le ciel, me réponds-tu : dans la symétrie et les révolutions des astres.— Comment donc Celui qui a fait le ciel et les astres peut-il être soumis à un sort, lorsque tu t’élèves toi-même au-dessus du ciel et des astres, par l’effet de ta seule volonté, en suivant les pures inspirations de la sagesse ? De ce que le Christ s’est fait homme sur la terre, as-tu le droit de penser que sa puissance s’est abaissée au point de se soumettre à celle du ciel ?

9. O homme ignorant, écoute : « Son heure n’était pas encore venue », non pas l’heure où il serait forcé de mourir, mais celle où il daignerait se laisser mettre à mort. Il savait le moment où il devrait mourir : il avait devant les yeux tout ce qui avait été prédit de lui, et il attendait l’accomplissement de toutes les prophéties qui devaient se réaliser avant sa passion : après qu’elles se seraient vérifiées, alors sonnerait l’heure de ses souffrances, en conséquence de son choix, et non pas d’une aveugle nécessité. Écoutez-moi, je vais vous en donner une preuve. Entre toutes les prédictions relatives au Christ, je trouve celle-ci : « Ils m’ont donné du fiel pour nourriture, ils m’ont présenté du vinaigre pour étancher ma soif[4] ». L’Évangile nous apprend la manière dont elle s’est accomplie. On donna d’abord du fiel au Christ ; après l’avoir reçu et goûté, il le cracha : puis, tandis qu’il était en croix, il voulut réaliser toutes les prophéties, et il s’écria : « J’ai soif ». Les soldats prirent une éponge remplie de vinaigre, la fixèrent à un roseau, et l’élevèrent pour l’approcher de ses lèvres : il accepta et dit : « C’est fini ». Qu’est-ce à dire : « C’est fini ? » Tout ce qui avait été annoncé comme devant avoir lieu avant ma mort, est accompli ; que fais-je donc ici ? Enfin, sitôt qu’il eut dit : « C’est fini, il baissa la tête et rendit l’âme[5] ». Les deux larrons, crucifiés à côté de lui, sont-ils morts quand ils l’ont voulu ? Ils étaient retenus captifs par les liens de leur corps, parce qu’ils ne l’avaient pas créé : cloués à la croix, ils voyaient leurs tourments se prolonger, parce qu’ils n’étaient pas les maîtres de la douleur. Pour le Sauveur, il a pris, quand il l’a voulu, un corps dans le sein d’une vierge : il est venu prendre place au milieu des hommes, quand il l’a voulu quand il l’a voulu, il a quitté son corps tout cela a été, chez lui, l’effet de la puissance, et non de la nécessité. Il attendait donc cette heure, et il ne devait point la subir forcément ; il l’avait librement choisie, comme la plus opportune, pour accomplir d’abord ce qui devait avoir lieu avant sa mort. Était-il fatalement condamné par un sort, Celui qui a dit en un autre endroit. « J’ai le pouvoir de donner ma vie, et j’ai le pouvoir de la reprendre ; nul ne me l’ôte, mais je la donne moi-même, et je la reprends de nouveau[6] ? » Il a manifesté ce pouvoir au moment où les Juifs cherchaient à s’emparer de lui. « Qui a cherchez-vous ? » leur dit-il. – Et ils lui

  1. Ps. 103, 24
  2. Gen. 1, 1
  3. Jn. 1, 1, 3
  4. Ps. 68, 22
  5. Jn. 19, 28-30
  6. Id. 10, 18