Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/618

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le péché qu’elle commet se trouve au dedans d’elle. Le pécheur se rend coupable d’une faute, dans l’intention de se procurer un plaisir sensible : le plaisir passe, la faute reste : tout ce qui le charmait s’est évanoui, il ne lui reste que le tourment. O le triste esclavage ! On voit de temps en temps des hommes chercher un refuge dans nos Églises ; d’habitude, nous les subissons comme des individus indisciplinés ; car ils veulent ne pas avoir de maîtres, tout en prétendant commettre le péché. Il arrive aussi quelquefois qu’un homme, né libre, vienne se réfugier à l’Église pour se soustraire à une illégitime et insupportable servitude ; il y vient réclamer la protection de l’évêque : et si l’évêque néglige l’affaire et ne donne pas tous les soins à sauvegarder la liberté de cet homme, celui-ci est remis sans pitié aux mains de son maître. Réfugions-nous tous auprès du Christ, demandons à Dieu qu’il nous délivre de la servitude du péché : demandons à nous vendre, afin d’être rachetés au prix de son sang ; ; car le Seigneur a dit : « Vous avez été « vendus pour rien, et vous serez rachetés « sans rançon [1] ». Sans rançon qui vienne de vous, parce que votre rançon vient de moi. Le Seigneur parle ainsi, car il a payé notre rançon, non avec de l’argent, mais avec son sang. Pour nous, nous étions restés esclaves et dénués de toute ressource.
5. Le Christ seul affranchit donc de cette servitude : jamais il n’y a été soumis, et pourtant, il en brise les chaînes ; car seul il est devenu homme sans être souillé par le péché. Les enfants que vous voyez entre les bras de leurs mères, ne marchent pas encore, et ils ne sont déjà plus libres de leurs mouvements : ils ont reçu d’Adam les liens dont le Christ doit les délivrer. Lorsqu’on les baptise, la grâce que le Seigneur promet leur est accordée comme aux autres ; car celui-là seul peut affranchir du péché, qui est venu ici-bas exempt de péché, et qui s’est offert en sacrifice pour expier le péché. Vous avez entendu lire ces paroles de l’Apôtre : « Nous remplissons », dit-il, « la fonction d’ambassadeurs pour Jésus-Christ, et c’est Dieu même qui vous exhorte par notre bouche. Nous vous conjurons au nom de Jésus-Christ » ; ou, en d’autres termes, c’est comme si Jésus-Christ vous conjurait lui-même. De quoi faire ? « de vous réconcilier avec Dieu ». Puisque l’Apôtre nous exhorte et nous conjure de nous réconcilier avec Dieu, il est évident que nous étions en inimitié avec lui. Si l’on n’est pas ennemi d’une personne, pourquoi se réconcilier avec elle ? Or, ce n’est point par nature que nous sommes en guerre avec Dieu : c’est la conséquence de nos péchés. Et par cela même que nous sommes devenus ses ennemis, nous sommes devenus les esclaves du péché. Dieu n’a jamais compté ses adversaires parmi les hommes libres, il les a nécessairement rencontrés parmi les esclaves, et ils demeureront plongés dans la servitude, tant qu’ils ne seront pas affranchis par Celui dont ils ont voulu se faire les ennemis dès lors qu’ils ont commis le péché. « Nous vous conjurons donc au nom de Jésus-Christ de vous réconcilier avec Dieu ». Mais comment se réconcilier avec lui, si nous laissons subsister ce qui établit un abîme entre lui et nous ? Or, n’a-t-il pas dit par la bouche d’un Prophète : « Son oreille n’est point appesantie, et peut encore entendre ; mais vos crimes vous ont séparés de votre Dieu [2] ». Nous ne pouvons donc nous réconcilier avec lui qu’à la condition de faire disparaître ce qui nous en sépare, et d’établir entre nous un lien qui nous unisse. Il y a entre Dieu et nous un mur de séparation, mais il peut y avoir un médiateur qui nous réconcilie ensemble. L’intermédiaire qui nous sépare, c’est le péché ; le médiateur qui nous réconcilie, c’est Notre-Seigneur Jésus-Christ. « Car il n’y a qu’un Dieu, et un médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme[3] ». Pour faire disparaître ce mur de séparation, qui n’est autre que le péché, ce médiateur est venu, et comme prêtre, il s’est lui-même offert en sacrifice ; et parce qu’il est devenu victime pour le péché, et qu’il s’est offert lui-même en holocauste sur la croix où il est mort, l’Apôtre continue l’expression de sa pensée. Il avait dit : « Nous vous conjurons, au nom de Jésus-Christ, de vous réconcilier avec Dieu » ; et, comme si nous lui demandions à connaître le moyen d’opérer cette réconciliation, il ajoute : « Il a traité celui », c’est-à-dire ce même Christ, « qui ne connaissait pas le péché, comme s’il eût été le péché même, afin qu’en lui nous devinssions justes de la justice de Dieu [4] ». «

  1. Isa. 52, 3
  2. Isa. 59,1-2
  3. 1 Tim. 2, 5
  4. 2 Cor. 5, 20-21