Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/620

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liberté, il fera de nous ses serviteurs. Nous étions les esclaves de nos passions ; par notre délivrance, nous devenons les esclaves de la charité. L’Apôtre ne dit pas autre chose : « Car, mes frères, vous êtes appelés à la liberté. Ayez soin seulement que cette liberté ne soit point, pour vous, une occasion de vivre « selon la chair, mais assujettissez-vous les uns aux autres par esprit de charité [1] ». Qu’aucun chrétien ne dise donc : Je suis libre, j’ai été appelé à la liberté ; j’étais esclave, mais j’ai été racheté, et, par mon rachat, je suis devenu libre ; j’agirai à ma guise ; puisque je suis libre, personne n’a le droit d’imposer des règles à ma volonté. Mais si cette volonté te conduit au péché, tu es l’esclave du péché. N’abuse donc pas de ta liberté pour pécher sans contrainte ; au contraire, fais-en ton profit, pour ne pas offenser Dieu. Si ta volonté se soumet aux règles de la piété, elle sera libre. Tu seras libre, si tu es esclave ; libre à l’égard du péché, esclave par rapport à la justice ; car l’Apôtre a dit : « Lorsque vous étiez esclave du péché, vous vous affranchissiez de la justice ; mais, maintenant que vous êtes affranchis du péché et devenus esclaves de Dieu, le fruit que vous en tirez est votre sanctification, et la fin en sera la vie éternelle[2]. Qu’à ce but tendent tous nos efforts ; agissons dans ces vues.
9. Le premier pas à faire vers la liberté, c’est d’être exempt de crime. Attention, mes frères, attention, car je crains de ne pouvoir vous faire toucher du doigt et comprendre ce qu’est maintenant et ce que sera plus tard cette liberté. Examine de près la conduite, en ce monde, de l’homme quel qu’il soit : fût-il vraiment juste, il a beau mériter à tous égards le titre de juste, il n’est pas, néanmoins, exempt de péché. Écoute saint Jean lui-même, dont nous expliquons en ce moment l’Évangile nous dit dans son épître : « Si nous disons que nous n’avons pas de péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité ne se trouve, pas en nous[3] ». Celui qui, au milieu des morts, avait conservé sa liberté, pouvait seul tenir ce langage : on n’a pu le dire que de celui eu qui né se trouvait aucune iniquité ; non, on n’a pu le dire que, de lui, puisque, par sa ressemblance avec nous, il a éprouvé toutes sortes de maux, excepté le péché[4] ». Seul, il a pu dire : « Voilà que le prince de ce monde viendra, et il ne trouvera rien en moi ». Examine de près la conduite de n’importe quel juste, et tu trouveras nécessairement en lui quelque péché. Job était certainement pur : le Seigneur lui rendait en ce sens un témoignage si flatteur, que le démon en devint jaloux, et demanda à l’éprouver : le tentateur fut vaincu, et la vertu du saint homme clairement démontrée[5]. Sa vertu a été manifestée au grand jour, non pour être connue et récompensée de Dieu, mais afin que les hommes n’en ignorassent pas, et pussent la prendre pour modèle. Que dit donc aussi Job : « Quel est l’homme innocent ? Pas même l’enfant qui n’a encore vécu que l’espace d’un jour[6] ». Bien des hommes ont acquis sans conteste, c’est-à-dire sans reproche, le titre de juste ; dans les choses humaines, celui dont la conduite n’est pas souillée de crime ne peut évidemment encourir aucun reproche. Un crime est une faute grave, digne, sous tous rapports, d’accusation et de condamnation ; or, Dieu ne distingue pas entre péchés et péchés, pour condamner les uns, justifier et louanger les autres. Il n’en approuve aucun, il les déteste tous. Comme un médecin déteste la maladie de l’homme cloué sur un lit de douleur, et s’efforce, pour le guérir, d’éloigner le mal et de garantir le malade : ainsi, par sa grâce, Dieu agit de manière à détruire le péché et à délivrer le pécheur. Mais, diras-tu, quand le péché est-il détruit ? Pourquoi ne l’est-il pas, dès qu’il perd de sa force ? Il perd de sa force chez ceux qui deviennent meilleurs ; il n’existe plus chez les parfaits.
10. Le premier pas à faire vers la liberté, c’est donc d’être exempt de crime. Aussi, quand il choisit des hommes pour les ordonner prêtres ou diacres, l’apôtre Paul exige-t-il d’eux ce qu’on doit exiger de tout homme destiné à devenir, par l’ordination, chef dans l’Église ; mais il ne dit pas si quelqu’un est sans péché ; en ce cas, on écarterait des ordres n’importe qui ; personne n’y serait admis ; il s’exprime eu ces termes : « Si quelqu’un est exempt de crimes », comme, par exemple, d’homicide, d’adultère, de souillure provenant de la fornication, de vol, de fraude, de sacrilège, et, de toute faute de ce genre[7]. Dès, qu’un homme en est là (et tout chrétien doit en être là), il commence à

  1. Gal. 5, 13
  2. Rom. 6, 20-22
  3. 1 Jn. 1,8
  4. Héb. 4, 15
  5. Job. 1, 2
  6. Id. 14, 4, suiv. les Septante
  7. 1 Tim. 3,10 ; Tit. 1, 6