Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/636

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par notre nature, les enfants de la colère comme le reste des hommes [1] ». Si nous avons été enfants de colère, nous étions les enfants de la vengeance, de la peine, de la géhenne. Comment l’étions-nous par nature, si ce n’est que, par le péché du premier homme, la corruption est devenue pour nous une seconde nature ? Si la corruption est devenue pour nous une seconde nature, tout homme est né aveugle, quant à son âme. Si, en effet, il voyait, il n’aurait pas besoin qu’on le conduise ; et s’il a besoin qu’on le conduise et qu’on lui rende la vue, il est donc un aveugle-né.
2. Le Sauveur est donc venu, et qu’a-t-il fait ? Une chose toute mystérieuse et bien digne de remarque. « Il cracha à terre et fit de la boue avec sa salive, car le Verbe s’est fait chair[2], et il en frotta les yeux de l’aveugle. Les yeux de cet homme étaient couverts de boue, et il ne voyait pas encore. Le Sauveur l’envoya à la piscine qui porte le nom de Siloé. L’Évangéliste a bien voulu nous indiquer le nom de cette piscine, et nous dire « qu’il signifie l’Envoyé n. Vous savez qui a été envoyé ; s’il ne l’avait pas été, nul d’entre nous n’eût été délivré du péché. L’aveugle lava donc ses yeux dans cette piscine dont le nom signifie l’Envoyé, et il fut baptisé dans le Christ. Si, en un certain sens, Jésus baptisa en lui-même l’aveugle-né au moment où il lui rendait la vue, quand il frotta ses yeux avec de la boue, il le fit, sans doute, catéchumène. On peut évidemment exposer et expliquer, de manière et d’autre, le sens profond de cette mystérieuse guérison ; mais que cette interprétation suffise à votre charité-; vous avez entendu une chose difficile à saisir, mais digne de toute votre attention. Demande à un homme : Es-tu chrétien ? – S’il est païen ou juif, il te répond : Je ne suis pas chrétien.— Si, au contraire, il te dit : Je le suis, tu lui fais une nouvelle question : Es-tu catéchumène ou fidèle ? S’il te répond : Catéchumène, ses yeux ont été frottés, mais non encore lavés. Comment ont-ils été frottés ? Interroge-le, il te répondra ; demande-lui en qui il croit : par cela même qu’il est catéchumène, il te dira : Dans le Christ. Je m’adresse, en ce moment, aux fidèles et aux catéchumènes. Qu’ai-je dit de la salive et de la boue ? Que le Verbe s’est fait chair. Les catéchumènes comprennent aussi cela ; mais il ne leur suffit pas d’avoir eu les yeux frottés ; s’ils veulent voir, qu’ils se hâtent de se laver.
3. En raison de certaines difficultés qui se rencontrent dans cette leçon, glissons rapidement sur les paroles du Sauveur et sur tous les passages qu’elle contient, sans clous appesantir sur aucun d’eux. « Jésus, passant, vit un aveugle », non pas un aveugle ordinaire, mais « un aveugle-né. Et ses disciples l’interrogèrent : Maître ». Vous le savez, « Rabbi » veut dire Maître. Ils l’appelaient ainsi, parce qu’ils voulaient s’instruire près de lui ; ils adressèrent, en effet, au Sauveur une question comme à un maître. « Qui a péché, celui-ci ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? Jésus répondit : Ni celui-ci, ni son père, ni sa mère n’ont péché », pour qu’il soit né aveugle. Qu’a dit le Christ ? Si personne n’est sans péché, les parents de cet aveugle pouvaient-ils n’en avoir aucun ? L’aveugle lui-même était-il venu au monde exempt du péché originel, et n’y avait-il ajouté aucune faute personnelle ? Parce que ses yeux étaient fermés, se trouvait-il a l’abri de toute concupiscence ? À quelles coupables prévarications se laissent aller les aveugles eux-mêmes ! De quelles fautes s’abstient une âme portée au mal, même quand les yeux du corps lui manquent pour l’entraîner ! Celui-ci ne jouissait pas de la vue, mais il savait penser, et peut-être aussi désirer ce qu’il était incapable de faire à cause de sa cécité ; il était, par conséquent, à même d’être jugé par Celui qui sonde les cœurs pour des péchés purement intérieurs. Si les parents de cet homme ont eu quelque prévarication à se reprocher, il en a eu comme eux ; pourquoi donc le Sauveur dit-il : « Ni celui-ci, ni ses parents n’ont péché ? » Il répondait sans doute uniquement à la question qu’on lui adressait, et il voulait ajouter : « Pour qu’il soit né aveugle ». Car ses parents étaient pécheurs ; mais ce n’était point en conséquence de leurs péchés que leur fils était né aveugle. Cependant si les fautes des parents n’avaient en rien contribué à ce qu’il vînt au monde dans l’état de cécité, pourquoi était-il né aveugle ? Écoute, le Maître va t’instruire ; il attend que tu croies pour te donner l’intelligence. Il nous indique la cause pour laquelle cet homme est né aveugle. « Ni celui-ci », dit-il, « ni ses parents a n’ont péché ; mais c’est afin que les œuvres

  1. Eph. 2, 3
  2. 1 Jn. 1, 14