Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/653

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Et les autres Apôtres, excepté Judas, le fils de perdition ? Pas davantage. Ils étaient donc des pasteurs ? Oui, dans toute la force du terme. J’en ai déjà fait la remarque ; ils étaient des pasteurs, parce qu’ils étaient les membres du pasteur par excellence. Ils étaient fiers de leur chef : ils vivaient sous son autorité dans l’union la plus intime, ne formant qu’un seul corps animé d’un même esprit, et ainsi appartenaient-ils tous à un seul pasteur. S’ils étaient des pasteurs et non des mercenaires, pourquoi donc prenaient-ils la fuite, quand ils souffraient persécution ? Seigneur, veuillez nous l’expliquer. J’ai vu, dans une épître, que Paul s’est enfui ; on l’a descendu dans une corbeille le long de la muraille, pour échapper à ses persécuteurs [1]. Il ne s’inquiétait donc que médiocrement du troupeau, puisqu’il l’abandonnait à l’apparition du loup ? Pardon, il s’en inquiétait, car il recommandait ses brebis, par ses prières, à la garde du pasteur qui réside dans le ciel ; quant à lui, il se conservait pour leur plus grande utilité en prenant la fuite, suivant ce qu’il a dit quelque part : « Il est avantageux pour vous que je demeure en cette vie [2] ». Le pasteur lui-même leur avait dit à tous : « Si l’on vous persécute dans une ville, fuyez dans une autre [3] ». Daigne le Seigneur nous donner la solution de cette difficulté ! Seigneur, vous avez dit vous-même à ceux en qui vous vouliez trouver des pasteurs fidèles, et dont vous vouliez faire vos membres : « Si l’on vous persécute, prenez la fuite ». Vous leur faites donc injure quand vous reprochez aux mercenaires de s’enfuir à la vue du loup. Nous vous en prions, indiquez-nous le sens mystérieux de vos paroles. Frappons, mes frères ; le gardien de la porte, qui n’est autre qu’elle-même, viendra s’ouvrir devant nous.
8. Quel est le mercenaire qui prend la fuite en voyant venir le loup ? Celui qui cherche ses propres intérêts, et non ceux de Jésus-Christ, qui n’ose point reprendre librement le pécheur [4]. Un homme, n’importe lequel, a péché, il a commis une grande faute ; ce serait un devoir de lui adresser des reproches, de l’excommunier ; mais en l’excommuniant, on s’en ferait un ennemi ; il tendrait des pièges, et ferait autant de mal que possible. Celui qui cherche son intérêt et non l’intérêt de Jésus-Christ, redoute de perdre l’objet de ses désirs : pour conserver l’avantage d’une amitié humaine, pour ne pas s’exposer à l’inconvénient de l’inimitié d’un homme, il garde le silence, il ne fait aucun reproche. Le loup saisit à la gorge une brebis : le démon persuade à un fidèle de commettre l’adultère, et tu n’élèves pas la voix, et tu ne réclames pas ! O mercenaire, tu as vu venir le loup, et tu as pris la fuite ! Il répond peut-être en disant : Mais me voici, je ne me suis pas enfui.— Tu t’es enfui, puisque tu as gardé le silence ; et tu as gardé le silence, parce que tu as été dominé par la crainte. Tu es ici de corps, mais, d’esprit, tu as pris la fuite. Ce n’était point ainsi que se conduisait Celui dont voici les paroles : « Quoique je sois absent de corps, je suis néanmoins avec vous en esprit [5] ». Avait-il pris la fuite en esprit, lui qui, malgré son absence corporelle, flétrissait dans ses lettres l’inconduite des fornicateurs ? Nos affections sont des mouvements de notre âme. La joie en est la dilatation ; la tristesse, le rétrécissement ; la cupidité en est la marche en avant ; la crainte, la fuite en arrière. Ton esprit se dilate lorsque tu éprouves du plaisir ; il se contracte si tu ressens de la contrariété ; il s’élance quand tu désires quelque chose ; il recule dès que tu deviens accessible à la crainte. C’est en ce sens qu’il est dit dans l’Évangile que le mercenaire s’enfuit à la vue du loup. Pourquoi ? « Parce qu’il ne s’inquiète nullement des brebis ». Pourquoi « ne s’inquiète-t-il pas « des brebis ? Parce qu’il est un mercenaire ». Qu’est-ce à dire : « Il est un mercenaire ? » Il cherche une récompense dans le temps, et dans l’éternité il n’aura pas même une demeure. Nous aurions encore à creuser et à discuter avec vous bien des questions, mais il n’est pas convenable de vous fatiguer. Vous servez le même Maître que nous, et nous vous distribuons les aliments qu’il met à notre disposition ; vous êtes les brebis du Seigneur, nous vous conduisons dans ses pâturages et nous en profitons avec vous. Comme il ne faut refuser à personne la nourriture nécessaire, ainsi ne faut-il jamais surcharger un estomac faible d’une trop grande quantité d’aliments. De là il suit que votre charité ne doit pas se formaliser de me voir m’arrêter aujourd’hui en présence de questions

  1. 2 Cor. 11, 33
  2. Phil. 1, 24
  3. Mt. 10, 23
  4. 1 Tim. 5, 20
  5. Col. 2, 5