Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/658

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vous seriez impuissant par vous-même de sortir du tombeau ? Si vous étiez incapable de le faire, vous ne diriez pas : « J’ai le pouvoir de quitter mon âme, et j’ai le pouvoir de la reprendre à nouveau ». Il est dit en un autre endroit de l’Évangile, non seulement que le Père a ressuscité son Fils, mais aussi que le Fils s’est ressuscité lui-même : « Détruisez ce temple en trois jours, et je le rebâtirai ». L’Évangéliste ajoute : « Mais il parlait du temple de son corps [1] ». Ce qui était mort en lui, il le ressuscitait. Car le Verbe n’est pas mort, son âme non plus : si la tienne elle-même n’est pas exposée aux coups du trépas, celle du Sauveur en serait-elle la victime ?
8. Mais, me dis-tu, comment savoir si mon âme ne meurt pas ?— Ne la fais pas mourir, et elle ne mourra pas.— Tu ajoutes : Comment puis-je tuer mon âme ? Il m’est inutile de parler d’autres péchés : « La bouche qui ment tue l’âme [2] ».— Serai-je jamais sûr qu’elle ne mourra pas ? Le Sauveur lui-même en a donné la certitude à son disciple. Écoute-le : « Ne craignez point ceux qui tuent le corps, et ne peuvent rien de plus ». Mais que dit-il de positif ? « Craignez Celui qui peut tuer le corps et l’âme, et les jeter dans l’enfer[3] ». Voilà la preuve qu’elle meurt, et aussi qu’elle ne meurt pas. Pour l’âme, qu’est-ce que mourir ? Et pour le corps ? Pour ton corps, mourir, c’est perdre sa vie propre ; pour ton âme, c’est encore perdre sa vie propre. Ton âme est la vie de ton corps ; Dieu est la vie de ton âme. De même que le corps meurt au moment où l’âme, qui est sa vie, s’en sépare, ainsi meurt l’âme, dès qu’elle se sépare du principe de sa vie, dès qu’elle s’éloigne de son Dieu. Néanmoins, l’âme est certainement immortelle. Oui, elle est immortelle, parce qu’en mourant elle n’a pas cessé de vivre. Ce que l’Apôtre dit de la veuve qui vit dans les délices s’applique aussi à l’âme qui a perdu son Dieu : « Elle est morte, quoiqu’elle paraisse vivante [4] ».
9. Comment donc le Sauveur donne-t-il sa vie ? Mes frères, apportons encore plus d’attention à élucider cette question : l’heure qui nous presse d’habitude le dimanche, ne nous presse pas aujourd’hui ; nous avons du temps à notre disposition : j’engage à en profiter ceux qui se sont réunis même aujourd’hui pour entendre la parole de Dieu. « Je donne ma vie », dit le Sauveur. En quelle qualité donne-t-il sa vie ? Quelle vie donne-t-il ? Qu’est le Christ ? Il est Verbe et homme tout ensemble : et il n’est pas homme en ce sens qu’il n’ait qu’un corps, parce que l’homme se compose d’un corps et d’une âme ; et dans le Christ, l’homme se trouve tout entier. Il ne se serait pas, en effet, revêtu de la partie la plus grossière de notre humanité, sans en prendre la plus noble ; or, l’âme de l’homme est supérieure à son corps. Puisque notre humanité se trouve tout entière dans le Christ, qu’est-il donc ? Je l’ai dit : il est Verbe et homme. Qu’est-ce à dire : Verbe et homme ? C’est-à-dire, Verbe, âme et corps. Tenez à ce point de doctrine, car il y a des hérétiques qui y sont opposés : depuis longtemps déjà, la vérité catholique les compte au nombre de ses ennemis, mais pareils à des voleurs et à des brigands, qui n’entrent point par la porte, ils ne cessent de tendre des pièges au troupeau. Les Apollinaristes ont été déclarés hérétiques pour avoir osé enseigner que le Christ est seulement Verbe et corps : à les entendre, il n’a pas pris une âme humaine. Plusieurs d’entre eux n’ont pu disconvenir qu’il ait eu une âme ; mais voyez en quelle insoutenable absurdité, en quelle folie ridicule ils sont tombés. Ils ont admis en lui l’existence d’une âme dépourvue de raison : quant à la présence en lui d’une âme raisonnable, ils l’ont niée : ils lui ont attribué une âme animale, ils lui ont refusé une âme humaine. Ils ont refusé au Christ, parce qu’ils l’avaient eux-mêmes perdue. Que leur erreur ne devienne pas la nôtre, car nous avons été nourris et élevés dans la foi catholique. Je profite donc de cette occasion pour prémunir votre charité, comme dans les leçons précédentes nous vous avons suffisamment prémunis contre les Sabelliens et les Ariens ; contre les Sabelliens, qui ne voient aucune différence entre le Père et le Fils ; contre les Ariens, qui prétendent qu’autre chose est le Père, autre chose est le Fils, comme s’ils n’avaient pas tous deux la même substance. Autant qu’il vous en souvient, et que vous devez vous en souvenir, nous vous avons fortifiés contre l’hérésie des Photiniens, qui n’ont vu en Jésus-Christ qu’un pur homme, sans y reconnaître aussi un Dieu ; et

  1. Jn. 2, 19, 21
  2. Sag. 1, 11
  3. Mt. 10, 28 ; Luc, 12, 4-5
  4. 2 Tim. 5, 6