Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/707

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qui est encore sur la terre, puisqu’il n’abandonne pas ceux des siens qui sont ici. N’a-t-il pas dit lui-même : « Voilà que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles [1] ? » N’a-t-il pas dit encore. « Vous verrez les cieux ouverts et les anges de Dieu monter et descendre vers le Fils de l’homme[2] ? » S’ils montent vers lui, c’est assurément parce qu’il est en haut ; mais comment descendent-ils vers lui, s’il n’est pas également ici-bas ? L’Église dit donc : « J’ai lavé mes pieds, comment les salir encore ? » Elle le dit en la personne de ceux qui, purifiés de toute souillure, peuvent dire : « Je désire être dégagé des liens du corps et me trouver avec Jésus-Christ ; mais il est plus utile pour vous que je demeure encore en cette vie[3] ». Elle le dit dans la personne de ceux qui prêchent Jésus-Christ et lui ouvrent la porte du cœur des hommes, afin qu’il y habite par la foi[4]. Elle le dit en eux lorsqu’ils délibèrent pour savoir s’ils se chargeront d’un ministère si grand qu’ils ne se croient pas capables de s’en acquitter sans commettre beaucoup de fautes ; ils craignent, en effet, qu’en prêchant aux autres, ils ne deviennent eux-mêmes réprouvés[5]. Il est bien plus sûr d’avoir à écouter la vérité, que d’avoir à la prêcher. Quand on ne fait que l’écouter, on garde l’humilité ; mais quand on la prêche, il est bien difficile que dans le cœur même du meilleur des hommes, il ne se glisse, pas quelque vaine complaisance capable de salir les pieds de son âme.
3. Aussi, comme dit l’apôtre Jacques : « Que tout homme soit prompt à écouter, mais lent à prendre la parole[6] ». Un autre homme de Dieu dit aussi : « Vous ferez retentir à mon oreille la joie et l’allégresse, et mes os brisés tressailliront[7] ». Voilà bien ce que j’ai dit : quand on n’a qu’à écouter la vérité, on garde l’humilité. Un autre dit encore : « L’ami de l’époux se tient debout et l’écoute, et il est rempli de joie à cause de la voix de l’Époux[8] ». Écoutons donc avec empressement la vérité qui nous parle intérieurement sans aucun bruit de parole. Elle se fait aussi entendre extérieurement par les lectures, les conférences, les prédications, les discussions, les préceptes, les consolations, les exhortations, même par les cantiques et les psaumes. Mais que ceux qui remplissent ces différents ministères craignent bien de salir leurs pieds, ce qui leur arrivera s’ils cherchent à plaire aux hommes et à s’attirer leurs louanges. Au reste, celui qui les entend avec plaisir et piété, n’a pas lieu de s’enorgueillir des travaux d’autrui, et ses os n’étant pas enflés d’orgueil, mais au contraire plongés dans l’humiliation, il éprouve une grande joie d’entendre la voix du Seigneur qui est la vérité. C’est pourquoi ceux qui savent écouter avec plaisir et en toute humilité, et qui mènent une vie tranquille dans cette étude si douce et si salutaire, l’Église se réjouit en eux et dit : « Je dors et mon cœur veille ». Que veut dire : « Je dors et mon cœur veille », sinon : Je suis en repos pour mieux écouter ? mon repos n’est point employé à nourrir ma paresse, mais à recevoir les leçons de la sagesse. « Je dors et mon cœur veille ». Je suis en repos et je reconnais que vous êtes le Seigneur[9], parce que « la sagesse viendra au docteur de la loi au temps du repos, et celui qui s’agite peu acquerra la sagesse[10] ». « Je dors et mon cœur veille ». Je me tiens en repos du côté des affaires humaines, et mon âme s’applique à l’amour des choses divines.
4. Mais pendant que l’Église se réjouit et se complaît dans ceux de ses enfants qui jouissent humblement et doucement de ce repos, elle entend heurter à la porte Celui qui dit : « Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le dans la lumière, et ce qui vous a été dit à l’oreille, prêchez-le sur les toits[11] ». Sa voix se fait donc entendre à la porte, et il dit« Ouvre-moi, ma sueur, ma chère parente, ma colombe, ma parfaite ; car ma tête est pleine de rosée et mes cheveux des eaux de la nuit ». Comme s’il disait : Tu te livres au repos, et pour moi la porte est fermée ; tu t’appliques au repos d’un petit nombre, et la charité d’un grand nombre s’éteint dans l’iniquité qui abonde[12] ; car la nuit, c’est l’iniquité. La rosée et les gouttes d’eau, ce sont les chrétiens qui se refroidissent et qui tombent, et qui font refroidir la tête de Jésus-Christ, c’est-à-dire qui font que Dieu n’est plus aimé. Car la tête de Jésus-Christ, c’est Dieu[13]. Ils sont placés dans les cheveux, c’est-à-dire admis par tolérance à la participation extérieure

  1. Mt. 28, 20
  2. Jn. 1, 61
  3. Phil. 1, 23-24
  4. Eph. 3, 17
  5. 1 Cor. 9, 27
  6. Jac. 1, 19
  7. Ps. 50, 10
  8. Jn. 3, 29
  9. Ps. 45, 1
  10. Sir. 28, 25
  11. Mt. 10, 27
  12. Id. 24, 12
  13. 2 Cor. 11, 3