Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/710

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donc y avoir d’orgueil dans une telle grandeur, ni de mensonge dans la vérité ; c’est à nous qu’il est utile de nous anéantir devant cette grandeur, c’est à nous qu’il est utile d’obéir à la vérité. Qu’il se dise Seigneur, ce n’est pas une faute pour Jésus, et c’est pour nous un grand bienfait. On loue beaucoup un auteur profane parce qu’il a dit : Toute arrogance a un caractère odieux. Mais celle qui naît de l’esprit et de l’éloquence est de beaucoup la plus insupportable[1]. Et cependant le même auteur, parlant de sa propre éloquence, a dit : Je dirais qu’elle est parfaite, si elle me paraissait telle, sans craindre qu’on m’accusât d’arrogance, parce que je ne dirais que la vérité[2]. Si donc cet homme éloquent ne craignait pas d’être accusé d’arrogance en disant la vérité, comment la vérité elle-même craindrait-elle d’en être accusée ? Qu’il se dise Seigneur, celui qui est réellement Seigneur ; qu’il dise vrai, celui qui est la vérité ; de peur qu’en ne nous disant pas ce qu’il est il nous laisse ignorer ce qu’il nous est si utile de savoir. Le bienheureux Paul. qui – n’était pas le Fils unique de Dieu, mais seulement le serviteur et l’Apôtre du Fils unique de Dieu ; qui n’était point la vérité, mais qui participait seulement à la vérité, dit librement et avec confiance : « Et si je voulais me glorifier, je ne serais pas insensé ; car je dis la vérité[3] ». En effet, ce ne serait pas en lui-même, mais dans la vérité même qui lui est supérieure, qu’il se glorifierait en toute humilité et justice ; car Dieu lui-même nous donne ce précepte : « Que celui qui se glorifie, se glorifie dans le Seigneur[4] ». Eh quoi ! celui qui aime la sagesse ne redouterait pas d’être impudent s’il voulait se glorifier ; et la sagesse elle-même en serait empêchée par cette crainte ? Il n’a pas craint de passer pour arrogant celui qui a dit : « Mon âme sera louée dans le Seigneur[5] » ; et en se louant elle-même, la puissance du Seigneur, en qui l’âme du serviteur trouve sa louange, craindrait de paraître orgueilleuse ? « Vous », dit-il, « vous m’appelez Maître et Seigneur, et vous dites bien, je le suis en effet ». Vous dites bien, parce que je le suis ; car si je n’étais pas ce que vous dites, vous diriez mal, quand même vous me loueriez. Comment donc la vérité nierait-elle ce que disent ses disciples ? Quand ils disent ce qu’ils ont appris, comment celui de qui ils l’ont appris le nierait-il ? Comment la Vérité nierait-elle ce qu’on prêche après avoir puisé en elle-même ? Comment la lumière cacherait-elle ce qu’on montre après l’avoir vu à l’aide de ses rayons ?
4. « Si donc », dit Jésus, « je vous ai lavé les pieds, moi votre Seigneur et votre Maître, vous devez aussi vous laver les pieds les uns aux autres. Je vous ai donné l’exemple afin que comme je vous ai fait, vous aussi vous fassiez de même ». Voilà, bienheureux Pierre, ce que vous ne saviez pas, quand vous vous opposiez à ce que votre Maître voulait faire. Voilà ce qu’il promit de vous apprendre plus tard, lorsque, effrayé de sa menace, vous consentîtes à ce qu’il vous lavât les pieds, quoiqu’il fût votre Maître et votre Seigneur. Nous avons, mes frères, reçu du Très-Haut une leçon d’humilité ; nous qui sommes si bas, faisons donc les uns pour les autres ce que le Très-Haut a fait avec tant d’humilité. C’est là une grande recommandation de l’humilité, et nos frères exercent cet acte d’humilité les uns envers les autres, d’une manière sensible, lorsqu’ils exercent l’hospitalité. C’est une coutume établie chez plusieurs de pratiquer ainsi l’humilité de manière à la montrer aux yeux de tous. C’est pourquoi l’Apôtre, énumérant les qualités d’une sainte veuve, a dit : « Si elle a exercé l’hospitalité, si elle a lavé les pieds des saints [6] ». Pour les chrétiens parmi lesquels cette coutume n’existe pas, ce qu’ils ne font pas de la main, ils le font du cœur, si du moins parmi eux il s’en trouve à qui s’applique ce qui est dit dans l’hymne des trois jeunes hommes : « Vous qui êtes saints « et humbles de cœur, bénissez le Seigneur[7] ». Mais ce qui est bien meilleur et sans contredit beaucoup plus d’accord avec l’exemple du Christ, c’est de le faire de ses propres mains ; et un chrétien ne doit pas dédaigner de faire ce qu’a fait Jésus : En effet, quand nous nous courbons corporellement jusqu’aux pieds de notre frère, le sentiment de l’humilité s’éveille dans notre cœur, et s’il y était déjà, il s’y fortifie.
5. Mais outre ce sens moral, je me souviens qu’en vous expliquant cette démarche si étonnante du Sauveur, je vous en ai indiqué un autre ; le voici : Par le lavement des pieds de ses disciples qui étaient déjà lavés et purs, Notre-

  1. Cicéron contre Q. Cécilius
  2. Cicéron, de l’Orateur
  3. 2 Cor. 12, 6
  4. 1 Cor. 1, 31
  5. Ps. 33, 3
  6. 1 Tim. 5, 10
  7. Dan. 3, 87