Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/726

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même le don des langues, l’usage des sacrements, le don de prophétie, le don de science, la foi, le don de distribuer leurs biens aux pauvres et de livrer leur corps aux flammes pour être brûlés ; mais parce qu’ils n’ont pas la charité, ils ne font que retentir comme des cymbales, ils ne sont rien et tout cela ne leur sert de rien [1]. Ce n’est donc pas à tous ces dons, malgré leur prix, qu’on reconnaîtra mes disciples, car d’autres que mes disciples peuvent les recevoir ; mais « en cela tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres ». O Epouse de Jésus-Christ ! belle entre toutes les femmes, ô vous qui montez éclatante de blancheur, appuyée sur votre petit frère, de même que vous empruntez votre éclat à sa lumière, ainsi vous appuyez-vous sur lui pour y puiser votre force et ne pas tomber. Combien est-ce avec raison que l’on vous chante dans ce Cantique des cantiques, qui est comme votre épithalame : « L’amour fait vos délices[2] ». Cet amour ne laisse pas votre âme périr avec les impies, il distingue votre cause de la leur ; il est fort comme la mort et il fait vos délices. O mort d’un genre admirable pour vous ! c’est peu de ne causer de peines à personne : vous faites même les délices de ceux qui vous goûtent. Mais il est temps de finir ici ce discours. Une autre fois nous parlerons de ce qui suit.

SOIXANTE-SIXIÈME TRAITÉ.

SUR CE QUI EST DIT DEPUIS CES MOTS : « SIMON PIERRE LUI DIT : SEIGNEUR, OÙ ALLEZ-VOUS ? » JUSQU’À CES AUTRES : « EN VÉRITÉ, EN VÉRITÉ JE TE LE DIS : LE COQ NE CHANTERA PAS QUE TU NE M’AIES RENIÉ TROIS FOIS ». (Chap. 13,36-38.)

PRÉSOMPTION ET INCAPACITÉ.

Dans sa vivacité, Pierre avait demandé à Jésus où il allait. – Où tu ne peux venir maintenant. – J’irai partout avec vous.— Avant que le coq chante, tu me renieras trois fois.— Reniant son Maître, Pierre pouvait-il le suivre ?


1. Lorsque le Seigneur Jésus recommandait à ses disciples le saint amour dont ils devraient être animés les uns envers les autres, « Simon Pierre lui dit : Seigneur, où allez-vous ? » Ainsi le disciple parlait-il à son Maître, le serviteur à son Seigneur, comme s’il était prêt à le suivre. C’est pourquoi le Seigneur voyait bien l’intention qui portait Pierre à lui adresser une pareille question ; il lui répondit donc : « Où je vais, tu ne peux pas me suivre maintenant » ; comme s’il lui eût dit : Ce pourquoi tu m’interroges, tu ne le peux pas maintenant. Il ne dit point : « Tu ne peux pas » ; mais bien : « Tu ne peux pas maintenant ». Par là, il lui imposait un délai, mais il ne lui enlevait pas l’espérance. Et cette espérance qu’il n’enlevait pas, mais qu’il faisait naître, il la confirma par les paroles suivantes : « Mais tu me suivras un jour ». Pierre, pourquoi te hâtes-tu ? La Pierre ne t’a pas encore affermi en te communiquant son esprit ; ne te laisse pas entraîner par la présomption. « Tu ne peux venir maintenant » ; mais ne te laisse point abattre par le désespoir, « tu me suivras un jour ». Mais que dit encore Pierre ? « Pourquoi ne puis-je vous suivre maintenant ? je donnerai ma vie pour vous ». Pierre voyait ce qu’il y avait en lui de désir, il ne voyait pas combien peu de force il s’y trouvait. Il était malade, et il vantait sa bonne volonté ; mais le médecin voyait sa faiblesse : l’un promettait merveilles, mais l’autre savait d’avance ce qu’il adviendrait : Pierre osait tout, parce qu’il ne se connaissait pas ; mais Jésus, qui voyait d’avance ce qui devait arriver, lui donnait des renseignements salutaires. Quelle présomption de la part de Pierre ! n’envisager

  1. 1 Cor. 13, 1-3
  2. Cant. 7, 6, suiv. les Septante