Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/77

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ces biens promis à ceux qui le craignent ; tandis que ceux-là les obtiennent, qui non seulement ne le craignent point, mais le déshonorent par leurs blasphèmes. Écoutez ce que dit le psaume « Bienheureux ceux qui craignent le Seigneur, qui marchent dans sa voie : tu mangeras les travaux de tes fruits, tu seras heureux et comblé de tous biens[1] ». Quoique nous soyons charnels, nous pouvons encore ne voir dans ces paroles que des biens célestes ; mais voyons la suite : « Ta femme sera dans ta maison comme une vigne féconde, tes enfants comme de jeunes oliviers environnant ta table. Ainsi sera béni l’homme qui craint le Seigneur[2] ». Comment sera-t-il béni ? Parce que sa femme sera dans sa maison comme une vigne féconde, et que ses enfants seront autour de sa table comme des oliviers nouvellement plantés. Mais perdront-ils donc leur récompense, ceux qui ont renoncé aux épousailles à cause de Dieu ? Un homme qui a renoncé au mariage s’est dit : Dieu aura pour moi d’autres bénédictions. Point du tout, ou bien il le bénira comme le dit notre psaume, ou ne te bénira aucunement ; car la décision est formelle : « C’est ainsi que sera béni l’homme qui craint le Seigneur ».
2. Quel est donc, mes frères, le sens de ces promesses ? de peur qu’en recherchant un bonheur temporel et terrestre, nous ne perdions celui du ciel. Le Prophète recouvre sa pensée d’un voile, et ce voile renferme je ne sais quoi. Or, votre charité se souvient qu’en exposant le psaume qui précède immédiatement celui-ci, nous avons rencontré un verset où il est dit : « Comme des flèches dans la main d’un puissant, ainsi les enfants de ceux qu’on a secoués[3] », et qu’en cherchant quels pouvaient être ces enfants des secoués, il nous a paru, d’après l’inspiration de Dieu, je le crois, que ces fils des secoués étaient les Apôtres fils des Prophètes. Ces prophètes en effet nous ont parlé en énigmes, et ont voilé leurs pensées de figures mystérieuses, qui en sont comme l’enveloppe ; et les hommes n’en peuvent pénétrer le sens à moins de secouer ces voiles ; de là vient que ce nom « fils des secoués », a été donné aux Apôtres, qui ont tiré leur avantage des Prophètes qu’ils secouaient. Donc nous aussi, secouons notre psaume, de peur que, trompés par les apparences, et en touchant sans le voir ce qu’elles recouvrent, nous ne prenions du bois pour de l’or, ou un vase de terre pour de l’argent. Secouons donc, s’il plaît à votre charité ; Dieu nous viendra en aide, nous découvrira ce qui est à l’intérieur ; faisons-le d’autant plus, mes frères, que nous célébrons une fête des martyrs. Quelles n’ont pas été les douleurs des martyrs, leurs tourments, leurs afflictions ; quelles prisons infectes, quelles chaînes pesantes ; combien de bêtes féroces, de flammes ardentes, d’atroces injures ! Eussent-ils enduré tout cela, s’ils n’eussent vu, je ne sais quel but où ils tendaient, et qui n’a rien de commun avec la félicité d’ici-bas ? Or, il serait honteux pour nous de célébrer la fête des martyrs, de ces serviteurs de Dieu qui ont méprisé ce bas monde pour le bonheur éternel, et de prendre dans le sens d’une félicité temporelle ce que dit notre psaume, et de dire en voyant un fidèle serviteur de Dieu, un citoyen de la Jérusalem céleste engagé dans le mariage, mais sans avoir d’enfants : C’est là un homme qui ne craint pas le Seigneur, car s’il craignait Dieu, son Épouse serait dans sa maison comme une vigne féconde, elle ne serait point stérile au point de n’en avoir aucun ; si cet homme craignait Dieu, ses enfants environneraient sa table comme de jeunes oliviers. Tenir ce langage, ce serait être charnel, et ne pas comprendre ce qui vient de l’Esprit de Dieu ; secouons donc à notre tour, afin de devenir les enfants de ceux que l’en a secoués. Si nous y arrivons, nous serons comme des flèches dans la main d’un puissant ; et par ses préceptes il nous lancera dans le cœur des hommes qui ne l’aiment point encore, afin que, blessés de la parole de Dieu, ils commencent à l’aimer. Car si nous en venions à leur prêcher : Mes frères, mes enfants, craignez le Seigneur, afin d’avoir des fils et des petits-fils, et de mettre ainsi la joie dans vos maisons, nos flèches ne les blesseraient point de l’amour de la Jérusalem éternelle ; ils demeureraient dans l’attachement aux biens terrestres, et à la vue de l’abondance des impies, ils nous diraient, sinon ouvertement, du moins dans leur intérieur : Pourquoi donc la maison de l’homme qui ne craint pas le Seigneur, est-elle pleine d’enfants ? Quelqu’un lui dira peut-être : Tu ne sais pas encore ce qui peut lui arriver ; que dirais-tu,

  1. Ps. 127,1-2
  2. Id. 3,4
  3. Id. 126,4