Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/81

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milieu d’eux, non pour un temps, mais pour toujours ; seulement tu ne verras jamais ma face. D’où vient, mes frères, que cette parole vous fait gémir, sinon parce que vous avez déjà cette crainte qui subsiste éternellement ? D’où vint que votre cœur a été frappé à cette parole : Tu ne verras point ma face ; voilà que tu posséderas toute félicité terrestre louis les biens ; tu seras comblé de toutes les prospérités, sans rien perdre, sans que rien t’échappe ; que veux-tu de plus ? La crainte chaste répandrait des larmes, et gémirait en disant : Plutôt perdre tous ces biens et voir votre face. La crainte chaste s’écrierait avec le psaume : « Dieu des vertus, tournez-vous vers nous, montrez-nous votre face et nous serons sauvés[1] ». La crainte chaste dirait encore avec un autre psaume : « Je n’ai fait au Seigneur qu’une seule demande ». Vois quels sont les transports de cet amour chaste, amour véritable, amour sincère : « Je n’ai fait qu’une demande au Seigneur[2] ». Qu’ai-je demandé ? « D’habiter dans la maison du Seigneur, tous les jours de ma vie ». Mais serait-ce en vue d’un bonheur temporel ? Écoute ce qui suit : « Afin de contempler les délices du Seigneur, et d’être protégé comme son temple divin[3] » ; c’est-à-dire d’être son temple et d’être protégé par lui. C’est l’unique demande que j’ai faite au Seigneur. Si vous n’exercez votre cœur qu’à cette unique demande, si vous ne craignez de perdre que ce seul bien, vous ne porterez point envie aux prospérités d’ici-bas et vous mettrez votre espérance dans ce bonheur qui est le véritable, et vous serez membres de celui à qui l’on chante : « Bienheureux ceux qui craignent le Seigneur, qui marchent dans ses voies ».
10. « Tu mangeras les travaux de tes fruits ». O vous, ô toi, ô vous tous qui n’êtes qu’un seul, tu mangeras les travaux de tes « fruits ». Les ignorants sont tentés ici d’accuser le Prophète, qui aurait dû dire, selon eux : « Tu mangeras le fruit de tes travaux ». Beaucoup en effet mangent le fruit de leurs travaux. Qu’ils travaillent à la vigne, ils ne mangent point leur travail, mais ils mangent ce que leur travail produit. Qu’ils travaillent à des arbres fruitiers, qui mange leurs travaux ? Mais le fruit que ces arbres ont produit, voilà ce qui réjouit le vigneron. Que signifie donc : « Vous mangerez les travaux de vos fruits ? » C’est maintenant le temps du travail, celui des fruits ne vient qu’après. Mais c’est que le travail n’est pas sans joie à cause de l’espérance dont nous avons dit tout à l’heure : « Pleins de joie dans l’espérance, patients dans la tribulation[4] » ; et que maintenant ce travail nous console et nous réjouit par l’espérance. Que sera-ce que manger le fruit de ce travail ? C’étaient leurs travaux que mangeaient « ceux qui marchaient en pleurant et en répandant sur la terre leurs semences[5] ». Avec combien plus de joie mangeront le fruit de leurs travaux « ceux qui viendront en portant leurs gerbes avec allégresse ? » Et pour mieux voir que l’on mange ce travail, mes frères, vous avez entendu qu’à ces hommes du psaume précédent qui voulaient, dans leur orgueil, se lever avant la lumière ou avant le Christ, mais non passer par cette humilité qui le fit ressusciter, il a été dit : « Levez-vous après vous être assis[6] » ; c’est-à-dire, abaissez-vous d’abord, et ensuite vous vous élèverez, puisque celui qui est venu pour s’humilier a été élevé à cause de vous. Et que dit notre psaume ? « Vous qui mangez le pain de la douleur ». Ce pain de douleur est le travail de vos fruits. Si l’on ne le mangeait, on ne l’appellerait pas du nom de pain ; et toutefois si ce pain n’avait quelque saveur, nul ne le mangerait. Avec quelle douceur pleure et gémit celui qui prie ! Les larmes de la prière sont plus délicieuses que les joies du théâtre. Écoute jusqu’où va l’ardeur du désir avec lequel on mange ce pain dont il est dit : « Vous qui mangez un pain de douleur » cet amour, dont nous entendons souvent la voix dans les psaumes, nous dit ailleurs « Mes larmes sont devenues pour moi un pain, le jour et la nuit ». Pourquoi ses larmes sont-elles un pain pour lui ? C’est qu’on me dit chaque jour : « Où est ton Dieu ? »[7] Avant que nous puissions voir celui qui nous a aimés, qui nous a donné des gages de son amour, et à qui nous avons été fiancés, les païens nous disent avec ironie : Où est le Dieu des chrétiens ? Qu’ils nous montrent ce Dieu qu’ils adorent. Nous leur montrons nos divinités ; qu’ils nous montrent leur Dieu. Quand un païen te parle ainsi, tu n’as rien à lui montrer, parce qu’il ne peut

  1. Ps. 79,8
  2. Id. 26,4
  3. Id.
  4. Rom. 12,12
  5. Ps. 125,6
  6. Id. 126,2
  7. Id. 41,4