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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/463

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déplaise point, quand même il lui paraîtrait momentanément ennemi, cet homme peut louer Dieu en toute sécurité, parce qu’il le bénira « toujours » et que la louange convient dans sa bouche, et qu’il chante en toute vérité : « Je bénirai le Seigneur en tout temps, sa louange sera toujours en ma bouche. Il châtie celui qu’il reçoit parmi ses enfants[1] ». Que choisis-tu donc ? Être châtié et reçu, ou épargné mais non reçu ? Vois quel fils tu veux être. Si tu aspires à l’héritage paternel, ne refuse point le châtiment. Si tu refuses le châtiment, renonce à l’héritage. Pourquoi te redresser, sinon pour te donner son héritage ? Pour arriver à l’héritage de ton père, n’as-tu pas été par lui réprimandé, redressé, châtié, fustigé ? Dans quel but ? Afin que tu devinsses l’héritier d’une maison qui tombera un jour, d’un fond de terre qui passera, d’un or qui ne doit durer en cette vie qu’autant que toi qui le possèdes. Car, ou bien tu le perdras pendant ta vie, ou tu le laisseras à ta mort. C’est pour un héritage aussi peu durable que tu as supporté les châtiments de ton père, et tu murmures lorsque Dieu te redresse pour te donner le royaume des cieux ?

4. Si donc tu es disposé à aimer Dieu, à l’aimer quand il te corrige, car ou bien il y a en toi quelque chose que le châtiment doit redresser, ou c’est ta droiture qui est mise à l’épreuve du châtiment ; dès que tu es ainsi disposé, bénis le Seigneur ; car tu le bénis en toute sécurité. Pourquoi en sécurité ? Parce que tu le bénis convenablement et avec persévérance. Car je ne crains plus alors que tu le bénisses maintenant, pour le blasphémer tout à l’heure. Je ne crains plus que l’homme en santé bénisse Dieu, et que la langue du malade appelle, soit l’astrologue, soit le sorcier, soit l’enchanteur, soit l’alligator avec ses ligatures diaboliques. Je suis sans crainte, parce que tu as compris que Dieu est bon, même quand il châtie, et que tu sais bien que celui qui châtie un fils connaît le moment de pardonner. Il te convient donc de le bénir, parce que tu le béniras toujours et que la louange du Seigneur sera continuellement dans ta bouche. Tu reçois avec joie les caresses d’un père, reçois avec la même joie ses châtiments. Tu ne cours point après lui, quand il te flatte, pour fuir quand il te châtie. Autrement tu ressemblerais à l’enfant qui, fuyant le châtiment de son père, tomba dans les caresses du marchand d’esclaves, qu’il trouvait bon, quand son père lui paraissait méchant, qui préféra la fourberie des caresses à la vérité du châtiment, et à qui cette préférence fit échanger l’héritage paternel contre l’esclavage. Change de dessein, et fais-toi un cœur droit : Ce n’est point Dieu qui change quand il te châtie, mais c’est toi qui es changeant. Pour lui, il a un but en te changeant, c’est de te changer en mieux, pour te donner son héritage. T’abandonner, te négliger, c’est un terrible effet de sa colère, alors même qu’il te paraît bon. Que votre charité veuille bien écouter ce que dit dans un autre psaume la sainte Écriture : « Le pécheur a irrité le Seigneur », est-il dit. Comment l’a-t-il irrité ? Voyez à l’endroit où le Prophète nous parle de cette irritation du Seigneur. Mais le pécheur a excité a son comble cette colère de Dieu. « Sa colère est si grande que Dieu ne le recherchera point[2] » ; dit le Prophète.

5. Le saint homme Job, au contraire, bénis sait Dieu en tout temps, avait toujours sa louange à la bouche ; au temps de ses richesses, il bénissait Dieu par ces mêmes richesses qu’il employait à toutes ces bonnes œuvres énumérées dans son livre, à donner du pain au pauvre, à vêtir celui qui était nu, à recevoir l’étranger, et toutes ces autres œuvres qui sont le seul avantage que les riches peuvent tirer de leurs biens, le seul bénéfice qui leur en revienne. Ce n’est pas un gain, en effet, ce n’est pas prélever un bénéfice que de laisser du bien à ses enfants ; car on ne sait qui doit posséder après la mort le fruit de tant de labeur. Aussi l’Écriture a-t-elle mis cela au nombre des vanités : « Tout homme vivant sur la terre n’est que vanité », nous dit-elle. « Il amasse les trésors et ne sait qui les recueillera[3] ». Donc tout le gain que l’on peut faire au moyen des richesses, c’est le trésor du royaume des cieux. De là ce conseil que te donne le Seigneur, non de perdre ton or, mais de le changer de place. Il ne te dit point que le donner c’est le perdre ; mais, comme il ne profite point sur la terre, je te le conserverai dans le ciel. Pourquoi crains-tu de le perdre ? Tu le mets dans le ciel sous la garde du Christ. Si le lieu

  1. Heb. 12, 6
  2. Psa. 10, 4
  3. Psa. 38, 6-7