Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XII.djvu/206

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CHAPITRE V. LES UNS PRÉTENDENT QU’IL FAUT QUELQUEFOIS MENTIR. LES AUTRES LE NIENT. DISCUSSION. EXEMPLES PRIS DANS L’ANCIEN TESTAMENT EN FAVEUR DU MENSONGE. IL N’Y EN A PAS DANS LE NOUVEAU TESTAMENT. ON NE PEUT PAS PLUS JUSTIFIER LE MENSONGE PAR LES RÈGLES DE LA VIE ORDINAIRE QUE PAR LES EXEMPLES DE L’ÉCRITURE.

Mais sur le point même où tout le monde est d’accord, faisons une question. Est-il quelquefois utile d’énoncer une chose fausse avec l’intention de tromper ? Ceux qui sont pour l’affirmative, appuient leur opinion sur des témoignages ; ils rappellent que Sara ayant ri, soutint cependant aux anges qu’elle n’avait pas ri ; que Jacob, interrogé par son père, répondit qu’il était Esaü, son fils aîné ; que les sages-femmes égyptiennes ont menti pour sauver de la mort les enfants des Hébreux, et que Dieu a approuvé et récompensé leur conduite ; et beaucoup d’autres exemples de ce genre empruntés à des personnages qu’on n’oserait blâmer ; et cela, dans le but de démontrer non seulement que parfois le mensonge n’est pas coupable, mais qu’il est même digne d’éloge. Outre cet argument destiné à embarrasser ceux qui s’adonnent à la lecture des saints livres, ils invoquent encore l’opinion générale et le sens commun, et disent : si un homme se sauvait chez toi et que tu pusses l’arracher à la mort par un seul mensonge, ne mentirais-tu pas ? Si un malade te faisait une question dont la réponse pourrait lui être nuisible, ou que ton silence même pût aggraver son mal, oserais-tu dire la vérité au risque de le faire mourir, ou garder un silence dangereux plutôt que de lui sauver la vie par un mensonge honnête et inspiré par la compassion ? Par ces raisonnements et d’autres de ce genre, ils croient démontrer surabondamment qu’on doit mentir quelquefois pour rendre service.

6. Ceux qui soutiennent l’opinion contraire, emploient à leur tour des arguments bien plus puissants encore. D’abord ils s’appuient sur ce qui est écrit dans le décalogue : « Tu ne porteras point de faux témoignages. » : expression qui renferme toute espèce de mensonge car quiconque énonce quelque chose, rend témoignage à son âme. Mais pour qu’on ne conteste pas cette explication, que le faux témoignage renferme toute espèce de mensonge, que répondre à cette autre sentence : « La bouche qui ment, tue l’âme. » ? Et si l’on suppose que ce texte laisse encore place à quelques exceptions, qu’opposer à celui-ci : « Vous perdrez tous ceux qui profèrent le mensonge. » ? Aussi le Seigneur lui-même a-t-il dit : « Que votre langage soit : oui, oui ; non, non ; car ce qui est de plus vient du mal ». Ce qui fait que l’Apôtre, parlant du dépouillement du vieil homme, mot sous lequel on renferme toute espèce de péchés, a soin de dire en premier lieu : « C’est pourquoi, quittant le mensonge, dites la vérité »

7. Quant aux exemples de mensonge tirés de l’ancien Testament, les partisans de cette dernière opinion affirment qu’ils n’en sont point ébranlés. Là, en effet, tous les faits, même réels, peuvent se prendre dans le sens figuré ; or, tout ce qui se fait ou se dit en figure, n’est pas mensonge. Car tout énoncé doit se juger d’après le but pour lequel il se produit ; et tout ce qui se fait ou se dit en sens figuré énonce ce qu’il signifie pour ceux à l’intelligence de qui il est proposé. Il faut donc croire que les personnages qui ont été entourés de considération dans les temps prophétiques, ont fait ou dit dans un but prophétique tout ce que l’on raconte d’eux dans l’Écriture ; et que c’est aussi dans un sens prophétique que leur sont survenus tous les événements que le même Esprit de prophétie a jugés dignes d’être transmis par écrit à la postérité. Pour ce qui est des sages-femmes, comme on ne peut dire qu’elles étaient animées de l’esprit prophétique, ni qu’elles songeassent à révéler l’avenir quand elles disaient à Pharaon une chose pour une autre, bien que leur action eût une signification même à leur insu, on prétend du moins qu’elles ont été approuvées et récompensées de Dieu dans la proportion de leur mérite. En effet c’est un grand progrès de mentir pour faire le bien, quand on a l’habitude de mentir pour le mal. Mais autre chose est de proposer une action comme louable en elle-même, autre chose de donner la préférence à une action mauvaise sur une pire. Les félicitations que nous adressons à un homme bien portant ne sont pas celles que nous adressons à un malade qui va mieux. Nous voyons même les Écritures justifier