Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XII.djvu/305

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alors qu’elle lui était facile ; le porta à contenir lui-même la colère d’un des siens qui partageait sa peine, et à user du pouvoir royal pour empêcher la vengeance plutôt que de l’exercer. Or à ce moment, son corps n’était tourmenté d’aucune maladie ni atteint d’aucune blessure ; mais c’était le temps d’être humilié, et il le reconnut ; et il porta le poids de la volonté de Dieu d’un cœur soumis et d’une âme patiente ; et il but le calice amer de l’ignominie. Cette patience, le Seigneur l’enseigna, lorsqu’il vit les serviteurs irrités du mélange de l’ivraie au bon grain, disposés à l’arracher, et qu’il leur fit connaître la réponse du père de famille : « Laissez croître l’un et l’autre jusqu’à la moisson  ». Car il faut souffrir en patience ce qu’on ne doit pas se hâter d’empêcher. Enfin il donna lui-même un exemple et une démonstration de cette patience, lorsqu’avant de souffrir sa passion dans son corps, il supporta Judas voleur avant de le convaincre de trahison. Avant de passer par les liens, la croix et la mort, il ne refusa pas le baiser de paix aux lèvres du fourbe. Tous ces traits, et les autres semblables, qu’il serait trop long d’énumérer, appartiennent à cette espèce de patience, par laquelle l’âme supporte courageusement non le poids de ses péchés, mais les maux extérieurs de toute sorte, au-dedans d’elle-même, sans que le corps soit atteint.

CHAPITRE X. LA PATIENCE DANS LES MAUX EXTÉRIEURS. — LES MARTYRS ONT EU L’UNE ET L’AUTRE PATIENCE.

Il est une autre espèce de patience. Elle a lieu lorsque l’âme supporte toutes sortes de tourments et de peines dans son corps, non pas toutefois comme font les insensés ou les méchants, c’est-à-dire pour se procurer des choses vaines ou commettre des crimes, mais comme Dieu lui-même l’a déterminé, c’est-à-dire pour la justice. Les martyrs ont soutenu l’un et l’autre combat. Car ils ont été rassasiés d’opprobres de la part des impies, et c’est ainsi que l’âme, saine dans un corps sain, endure en quelque sorte des maux qui lui sont propres ; puis ils ont été tourmentés dans leurs corps, enchaînés, emprisonnés, en proie aux horreurs de la faim et de la soif, torturés, sciés, hachés, brûlés, égorgés. Et tandis qu’ils souffraient ainsi dans leur chair tout ce que peut inventer la cruauté la plus raffinée, ils tenaient leur âme soumise à Dieu dans un amour inébranlable.

9. Mais il est pour la patience un combat plus grand encore. C’est quand on cesse d’avoir affaire à un ennemi visible qui, par ses persécutions ouvertes et ses violences, vous pousse au mal et vous fournit l’occasion de lui résister au grand jour et de remporter sur lui la victoire : c’est quand le diable lui-même, tolet en persécutant les fils de la lumière par les fils de l’infidélité qui sont comme ses organes, vous attaque secrètement lui-même, et vous presse par ses violences à faire quelque action ou dire quelques paroles contre Dieu.

CHAPITRE XI. PATIENCE DU SAINT HOMME JOB.

Telle fut l’expérience que fit Job le saint ; tourmenté par l’une et l’autre de ces deux tentations, il triompha de toutes les deux par les armes de la piété et la force inébranlable de sa patience. En effet il perdit d’abord tout ce qu’il possédait, avant que son corps fût touché ; et cette tentation avait pour but de briser son âme, par la ruine de ces choses dont les hommes ont coutume de faire grand cas, et de l’amener à blasphémer contre Dieu, en voyant lui échapper ces biens qu’on croyait être le mobile du culte qu’il lui rendait. Le second coup qui le frappa ensuite fut la privation subite de tous ses enfants ; il les avait eus l’un après l’autre, et il les perdit tous ensemble, en sorte que leur nombre, loin d’embellir sa vie heureuse, fut au contraire pour lui un surcroît de malheur. Quand, après ces épreuves, il demeura immobile dans la fidélité à son Dieu, il s’attacha aussitôt à la volonté de Celui qu’il ne pouvait perdre que par sa propre volonté ; et en échange des biens qu’il avait perdus, il saisit Celui qui les lui avait ôtés, pour trouver en lui un bien qui ne pût jamais périr. Car en réalité ces biens ne lui furent pas ôtés par celui qui avait la volonté de nuire, mais par Celui qui avait donné le pouvoir au mauvais.

CHAPITRE XII. LA PATIENCE DE JOB SUPÉRIEURE A CELLE D’ADAM.

L’ennemi s’attaqua alors au corps du saint, et il frappa cet homme non plus dans les choses