Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XII.djvu/498

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ne l’y rapporte pas. En effet, si elle ne rapporte pas la vision à autre chose, niais qu’elle ait simplement voulu voir, il n’est pas nécessaire de démontrer que la vision est la fin de la volonté : car la chose parle d’elle-même. Si, au contraire, elle la rapporte à autre chose, elle veut évidemment cette autre chose, et alors ce n’est plus la volonté de voir, ou tout au moins de voir ceci. C’est ainsi que quelqu’un voudra voir une cicatrice, pour prouver qu’il y a eu blessure ; on veut aussi voir une fenêtre pour examiner par là les passants. Toutes ces volontés et autres de ce genre ont leurs fins propres qui se rapportent au but de cette volonté supérieure, en vertu de laquelle nous voulons vivre heureux, et parvenir à la vie qui ne se rapporte plus à autre chose, mais suffit par elle-même à l’amour.

La volonté de voir a donc la vision pour fin, et la volonté devoir telle chose a la vision de cette chose pour terme. Ainsi la volonté de voir une cicatrice atteint sa fin, c’est-à-dire la vision de la cicatrice, et ne va pas au delà ; car la volonté de prouver qu’il y a eu blessure, est une autre volonté, bien qu’elle se rattache à celle-là, et ait aussi pour fin la preuve de la blessure. De même la volonté de voir une fenêtre a pour fin la vision de la fenêtre ; mais il y a une autre volonté qui se rattache à elle, celle de voir les passants, et qui a pour fin la vision des passants. Or, leurs volontés sont droites et toutes se relient ensemble, si celle à laquelle elles se rapportent toutes est bonne ; mais si elle est mauvaise, toutes sont mauvaises. Voilà pourquoi l’entraînement des volontés droites est comme le chemin par où l’on monte d’un pas ferme ; tandis que la série des mauvaises volontés est comme le lien avec lequel le coupable sera jeté dans les ténèbres extérieures (Matt., XXII, 13 ). Heureux donc ceux qui chantent par leurs actions et leur conduite le cantique des degrés ; et malheur à ceux qui traînent leurs péchés, comme une longue chaîne (Is., V, 18 ) ! Or, le repos de la volonté que nous appelons sa fin, peut, s’il se rapporte à autre chose, être Comparé au repos du pied dans la marche, quand on le pose à terre afin de donner à l’autre le point d’appui nécessaire pour continuer le chemin. Que si un objet plaît assez pour que la volonté s’y repose avec quelque satisfaction, ce n’est cependant pas encore là le but où l’on tend, car on le rapporte à autre chose ; ce n’est pas encore la patrie du citoyen, mais le repos ou le séjour du voyageur à l’hôtellerie.


CHAPITRE VII. AUTRE TRINITÉ DANS LA MÉMOIRE.


11. Il y a encore une autre trinité, plus intérieure, il est vrai, que celle qui se forme dans les choses sensibles et dans les sens, mais qui cependant y prend sa source : c’est quand le regard de l’âme est formé par la mémoire, laquelle a conservé le souvenir de l’apparence du corps que nous avons senti extérieurement : apparence qui est dans la mémoire, et que nous appelons comme le père de celle qui se forme dans l’imagination ; elle était dans notre mémoire même avant qu’on y pensât, comme le corps était dans l’espace, même avant qu’il occasionnât la sensation ’où est résultée la vision. Mais, par l’effet de la pensée, de l’image conservée par la mémoire il se forme une autre image dans le regard de celui qui pense et en suite de son souvenir, et celle-ci est en quelque sorte le fils de celle que garde la mémoire. Cependant ni l’une n’est vraiment père, ni l’autre vraiment fils. En effet, le regard de l’âme formé de la mémoire, alors que notre pensée réveille des souvenirs, ne procède pas de l’apparence que nous nous souvenons d’avoir vue, puisque nous ne pourrions pas nous souvenir si nous n’avions pas vu ; mais ce regard de l’âme formé par le souvenir existait déjà avant que nous eussions vu le corps dont nous nous souvenons, et à bien plus forte raison avant que nous le gravassions dans notre mémoire. Ainsi, bien que la forme qui se produit dans le regard de l’âme qui se souvient, résulte de celle qui existe dans la mémoire, cependant ce regard n’en vient pas et lui est même antérieur. Donc si l’une n’est pas vrai père, l’autre n’est pas vrai fils. Mais cette espèce de père et cette espèce de fils nous fournissent une donnée, pour découvrir plus avant et plus sûrement des choses plus intimes et plus vraies.

12. Il est d’abord plus difficile de distinguer si la volonté qui unit la vision à la mémoire est père ou fils de l’une des deux ; et ce qui augmente la difficulté, c’est l’égalité et la similitude de nature et de substance. En effet, il n’en est pas ici comme dans l’autre cas, où il était facile, comme nous l’avons assez prouvé, de discerner le sens informé du corps sensible,