Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XII.djvu/565

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ce qu’est le Père, et cependant il n’est pas Père, puisque l’un est Fils et l’autre Père. Par conséquent il connaît tout ce que le Père connaît ; mais il tient du Père la connaissance aussi bien que l’Etre. Car, en Dieu, connaître et être c’est la même chose. Le Père, comme en s’exprimant lui-même, a engendré le Verbe qui lui est égal en tout, et il ne se serait pas exprimé lui-même entièrement et parfaitement, s’il y avait en son Verbe quelque chose de plus ou de moins qu’en lui. C’est ici qu’on reconnaît au souverain degré le : « Oui, oui, Non, non (Matt., V, 37 ) ». Voilà pourquoi ce Verbe est réellement la vérité, parce que tout ce qui est dans la science qui l’engendre est aussi en lui, et qu’il n’a rien de ce qui n’y est pas. Ce Verbe ne peut absolument rien avoir de faux ; parce qu’il est immuablement ce qu’est Celui de qui il est. Car « le Fils ne peut rien faire de lui-même, si ce n’est ce qu’il voit que le Père fait (Jean, V, 19 ) ». Ii ne le peut absolument, et ce n’est point là faiblesse, mais force, la force qui fait que la vérité ne peut être fausse. Dieu le Père connaît donc toutes choses en lui-même, il les connaît dans son Fils ; dans lui-même, comme lui-même, dans le Fils comme son Verbe, qui comprend tout ce qui est en lui. Le Fils connaît également toutes choses : en lui-même, comme choses nées de celles que le Père connaît en lui-même ; dans le Père, comme choses d’où sont nées celles que le Fils connaît en lui-même. Le Père et le Fils savent donc réciproquement, mais l’un en engendrant, l’autre en naissant. Et chacun d’eux voit simultanément tout ce qui est dans leur science dans leur sagesse, dans leur essence ; non en particulier ou en détail, comme si leur vue alternait, passait là, revenait ici, se portait d’un côté à un autre, dans l’impuissance de voir ceci en même temps que cela ; mais, comme je l’ai dit, chacun d’eux voit tout, tout à la fois et toujours.
24. Quant à notre verbe, qui n’a pas de son, qui ne pense point au son, mais seulement à la chose que nous exprimons intérieurement en la voyant, qui, par conséquent, n’appartient à aucune langue, et a quelque ombre de ressemblance en énigme avec le Verbe de Dieu qui est Dieu, puisqu’il naît de notre science comme le Verbe est né de la science du Père ; quant à ce verbe, dis-je, si nous lui trouvons quelque ressemblance avec le Verbe suprême, ne rougissons point de faire voir, autant qu’il nous sera possible, combien il en diffère.


CHAPITRE XV.

COMBIEN GRANDE EST LA DIFFÉRENCE ENTRE NOTRE VERBE ET LE VERBE DIVIN.


Notre verbe naît-il de notre science seule ? Ne disons-nous pas bien des choses que nous ignorons ? Nous les disons même sans hésiter, mais les croyant vraies ; et si par hasard elles le sont, elles le sont dans les objets même dont nous parlons, et non dans notre verbe, puisque le verbe n’est vrai qu’autant qu’il est engendré de la chose même que l’on sait. Ainsi donc notre verbe est faux alors, non parce que nous mentons, mais parce que nous sommes trompés. Quand nous doutons, le verbe n’est point encore engendré de la chose dont nous doutons, mais du doute même. En effet, bien que nous ne sachions pas si la chose dont nous doutons est vraie, nous savons du moins que nous doutons ; par conséquent, quand nous le disons, c’est un verbe vrai, puisque nous savons ce que nous disons. Mais ne pouvons-nous pas mentir ? Dans ce cas, c’est volontairement et sciemment que nous avons un verbe faux ; le verbe vrai c’est que nous mentons, car nous savons que nous mentons. Et quand nous avouons que nous avons menti, nous disons la vérité, car nous disons ce que nous savons ; puisque nous savons que nous avons menti. Mais cela est impossible au Verbe qui est Dieu et plus puissant que nous. Car, « il ne peut rien faire si ce n’est ce qu’il voit « que le Père fait » ; il ne parle pas de lui-même, mais tout ce qu’il dit lui vient du Père qui ne parle qu’à lui ; et c’est, chez le Verbe suprême, une grande puissance que de ne pouvoir mentir : car, là, il ne peut y avoir « oui et non ( II Cor., I, 18 ) », mais : « Oui, oui, Non, non ». Sans doute on ne doit pas dire un mot qui n’est pas vrai ; j’en suis tout à fait d’avis ; mais même quand notre verbe est vrai et par conséquent mérite le nom de verbe, si on -peut l’appeler vision de vision, ou science de science, peut-on aussi l’appeler essence d’essence, comme on le dit et comme on doit le dire à juste titre du Verbe de Dieu ? Non certes : puisque être et connaître ne sont point pour nous une même chose. Car nous savons bien des choses qui ne vivent en quelque sorte que par la mémoire et