Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XII.djvu/575

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existe, l’indivisibilité est telle que, tandis qu’on ne peut pas dire qu’une trinité d’hommes soit un homme, là on peut dire qu’il y a un seul Dieu, et il n’y en a qu’un réellement ; on ne doit pas même dire que cette Trinité est en un seul Dieu, mais bien qu’elle est un seul Dieu. En elle encore, il n’en est pas comme dans l’homme, son image, où une seule personne possède les trois choses ; mais il y a trois personnes, le Père du Fils, le Fils du Père et l’Esprit du Père et du Fils. Car, quoique la mémoire de l’homme, surtout celle qui est refusée aux animaux, c’est-à-dire celle qui renferme les objets intellectuels, les objets qui ne lui viennent pas par l’entremise des sens, quoique cette mémoire offre une ressemblance, bien faible, il est vrai, incomparablement inférieure, mais enfin une ressemblance quelconque avec le Père ; quoique, également, l’intelligence de l’homme, celle qui est formée par l’attention de la pensée, quand on dit ce que l’on sait — parole du cœur qui n’appartient à aucune langue — quoique cette intelligence présente aussi, sauf une immense différence, une ressemblance quelconque avec le Fils ; enfin quoique l’amour de l’homme, procédant de la science, unissant la mémoire et l’intelligence, et commun à cette espèce de père et de fils, sans être lui-même ni père ni fils, quoique cet amour offre aussi, avec une différence très-grande, quelque ressemblance avec le Saint-Esprit : cependant, tandis que dans cette image de la Trinité, ces trois choses ne sont pas un homme, mais appartiennent seulement à un homme, dans la souveraine Trinité dont celle-ci est l’image, les trois choses n’appartiennent pas à un seul Dieu, mais sont un seul Dieu, ne sont pas une seule personne, mais trois personnes. Et c’est une chose merveilleusement ineffable ou ineffablement merveilleuse que, tandis que l’image de la Trinité ne forme qu’une seule personne, la Trinité elle-même renferme trois personnes, et que cette Trinité de trois personnes soit bien plus indivisible que la trinité d’une seule personne. En effet, cette souveraine Trinité dans la nature de la divinité, ou pour mieux dire de la déité, est ce qu’elle est, est immuablement et éternellement égale en elle-même ; en aucun temps elle n’a pas été, ou n’a été autrement ; jamais elle ne sera plus, ou ne sera autrement. Au contraire les trois choses qui sont dans son imparfaite image, si elles ne sont pas séparées totalement — vu qu’elles ne sont pas des corps — diffèrent cependant entre elles pendant cette vie, sous le rapport de l’étendue. En effet, bien qu’elles ne soient pas des choses matérielles, nous n’en voyons pas moins que la mémoire est plus grande que l’intelligence chez l’un, qu’elle est moindre chez l’autre ; que chez un troisième égales ou non entre elles, elles sont surpassées en étendue par l’amour. Ainsi ou deux l’emportent sur une, ou une sur deux, ou l’une sur l’autre, et les plus petites cèdent aux plus grandes. Fussent-elles, du reste, égales entre elles et guéries de toute maladie, même alors, on ne pourrait égaler à une chose immuable par nature une chose qui ne devra qu’à la grâce de ne plus changer ; parce que la créature n’est point égale au Créateur, et que par le fait même qu’elle sera guérie de toute maladie, elle subira un changement. 44. Toutefois cette souveraine Trinité, qui n’est pas seulement immatérielle, mais absolument indivisible et véritablement immuable, nous la verrons bien plus clairement et avec beaucoup plus de certitude que son image qui est en nous, quand viendra cette vision face à face qui nous est promise. Cependant ceux qui voient à travers ce miroir et en cette énigme — autant qu’il est donné de voir en cette vie — ne sont pas ceux qui voient dans leur âme ce que nous avons expliqué et fait ressortir ; mais ceux qui voient leur âme comme une image, afin de pouvoir rapporter à Celui dont elle est l’image ce qu’ils voient, comme ils le voient, et entrevoir par conjecture ce qu’ils découvrent par image, puisqu’ils ne peuvent pas encore contempler face à face. Car l’Apôtre ne dit pas Nous voyons maintenant un miroir, mais « Nous voyons maintenant à travers un miroir (I Cor., XIII, 12 ) ».


CHAPITRE XXIV.

INFIRMITÉ DE L’ÂME HUMAINE.

Ainsi donc ceux qui- voient leur âme comme elle peut être vue, qui découvrent en elle la trinité que j’ai envisagée, autant qu’il m’a été possible, sous bien des faces, et ne croient pas ou ne comprennent pas qu’elle est l’image de Dieu, ceux-là voient sans doute un miroir, mais ils voient si peu à travers ce