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LA CITÉ DE DIEU.

Non, c’est la force de la vérité qui a arraché cet aveu à leur bonne foi. Au surplus, nous traiterons ce sujet ailleurs plus à propos et avec le soin et l’étendue convenables ; je reviens maintenant à ces hommes ingrats et blasphémateurs qui imputent au Christ les maux qu’ils souffrent en juste punition de leur perversité. Ils ne daignent pas se souvenir qu’on leur a fait grâce par respect pour le Christ, et que la langue dont ils se servent dans leur démence sacrilège pour insulter son nom, ils l’ont employée à faire un mensonge pour conserver leur vie. Ils savaient bien la retenir, cette langue, quand réfugiés dans nos lieux sacrés, ils devaient leur salut au nom de chrétiens ; et maintenant, échappés au fer de l’ennemi, ils lancent contre le Christ la haine et la malédiction !

CHAPITRE IV.
LE TEMPLE DE JUNON AU SAC DE TROIE, ET LES BASILIQUES DES APÔTRES PENDANT LE SAC DE ROME.

Troie elle-même, cette mère du peuple romain, ne put, comme je l’ai déjà dit, mettre à couvert dans les temples de ses dieux ses propres habitants contre le fer et le feu des Grecs, qui adoraient pourtant les mêmes dieux. Ecoutez Virgile :

« Dans le temple de Junon, deux gardiens choisis, Phénix et le terrible Ulysse, veillaient à la garde du butin ; on voyait entassés çà et là les trésors dérobés aux temples incendiés des Troyens et les tables des dieux et les cratères d’or et les riches vêtements. À l’entour, debout, se presse une longue troupe d’enfants et de mères tremblantes[1] ».

Ce lieu consacré à une si grande déesse fut évidemment choisi pour servir aux Troyens, non d’asile, mais de prison. Comparez maintenant, je vous prie, ce temple qui n’était pas consacré à un petit dieu, au premier venu du peuple des dieux, mais à la reine des dieux, sœur et femme de Jupiter, comparez ce temple avec les basiliques de nos apôtres. Là, on portait les dépouilles des dieux dont on avait brûlé les temples, non pour les rendre aux vaincus, mais pour les partager entre les vainqueurs ; ici, tout ce qui a été reconnu, même en des lieux profanes, pour appartenir à ces asiles sacrés, y a été rapporté religieusement, avec honneur et avec respect. Là, on perdait la liberté ; ici, on la conservait. Là, on s’assurait de ses prisonniers ; ici, il était défendu d’en faire. Là, on était traîné par des dominateurs insolents, décidés à vous rendre esclaves ; ici, on était conduit par des ennemis pleins d’humanité, décidés à vous laisser libres. En un mot, du côté de ces Grecs fameux par leur politesse, l’avarice et la superbe semblaient avoir choisi pour demeure le temple de Junon ; du côté des grossiers barbares, la miséricorde et l’humilité habitaient les basiliques du Christ. On dira peut-être que, dans la réalité, les Grecs épargnèrent les temples des dieux troyens, qui étaient aussi leurs dieux, et qu’ils n’eurent pas la cruauté de frapper ou de rendre captifs les malheureux vaincus qui se réfugiaient dans ces lieux sacrés. À ce compte, Virgile aurait fait un tableau de pure fantaisie, à la manière des poëtes ; mais point du tout, il a décrit le sac de Troie selon les véritables mœurs de l’antiquité païenne.

CHAPITRE V.
SENTIMENT DE CÉSAR TOUCHANT LA COUTUME UNIVERSELLE DE PILLER LES TEMPLES DANS LES VILLES PRISES D’ASSAUT.

Au rapport de Salluste, qui a la réputation d’un historien véridique, César dépeignait ainsi le sort réservé aux villes prises de vive force, quand il donna son avis dans le sénat sur le sort des complices de Catilina : « On ravit les vierges et les jeunes garçons ; on arrache les enfants des bras de leurs parents ; les mères de famille sont livrées aux outrages des vainqueurs ; on pille les temples et les maisons ; partout le meurtre et l’incendie ; tout est plein d’armes, de cadavres, de sang et de cris plaintifs[2] ». Si César n’eût point parlé des temples, nous croirions que la coutume était d’épargner les demeures des dieux ; or, remarquez bien que les temples des Romains avaient à craindre ces profanations, non pas d’un peuple étranger, mais de Catilina et de ses complices, c’est-à-dire de citoyens romains et des sénateurs les plus illustres ; mais on dira peut-être que c’étaient des hommes perdus et des parricides.

CHAPITRE VI.
LES ROMAINS EUX-MÊMES, QUAND ILS PRENAIENT UNE VILLE D’ASSAUT, N’AVAIENT POINT COUTUME DE FAIRE GRACE AUX VAINCUS RÉFUGIÉS DANS LES TEMPLES DES DIEUX.

Laissons donc de côté cette infinité de peuples qui se sont fait la guerre et n’ont jamais

  1. Énéide, liv. ii, vers 761-767.
  2. Salluste, De la conjuration de Catilina, ch. 51.