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LA CITÉ DE DIEU.

ter toutes ses actions pour être heureux ; car on ne s’aime que pour être heureux, et cette fin, c’est d’être uni à Dieu[1]. Lors donc que l’on commande à celui qui sait déjà s’aimer comme il faut, d’aimer son prochain comme soi-même, que lui commande-t-on, sinon de se porter, autant qu’il est en son pouvoir, à aimer Dieu ? Voilà le vrai culte de Dieu, voilà la vraie religion, voilà la solide piété, voilà le service qui n’est dû qu’à Dieu. Quelque hautes, par conséquent, que soient l’excellence et les vertus des puissances angéliques, si elles nous aiment comme elles-mêmes, elles doivent souhaiter que nous soyons soumis, pour être heureux, à celui qui doit aussi avoir leur soumission pour faire leur bonheur. Si elles ne servent pas Dieu, elles sont malheureuses, étant privées de Dieu ; si elles servent Dieu, elles ne veulent pas qu’on les serve à la place de Dieu, et leur amour pour lui les fait au contraire acquiescer à cette sentence divine : « Celui qui sacrifiera à d’autres dieux qu’au Seigneur sera exterminé[2] ».

CHAPITRE IV.
LE SACRIFICE N’EST DU QU’A DIEU SEUL.

Sans parler en ce moment des autres devoirs religieux, il n’y a personne au monde qui osât dire que le sacrifice soit dû à un autre qu’à Dieu. Il est vrai qu’on a déféré à des hommes beaucoup d’honneurs qui n’appartiennent qu’à Dieu, soit par un excès d’humilité, soit par une pernicieuse flatterie ; mais, outre qu’on ne cessait pas de regarder comme des hommes ceux à qui on donnait ces témoignages d’honneur, de vénération, et, si l’on veut, d’adoration, qui jamais a pensé devoir offrir des sacrifices à un autre qu’à celui qu’il savait, ou croyait, ou voulait faire croire être Dieu ? Or, que le sacrifice soit une pratique très-ancienne du culte de Dieu, c’est ce qui est assez prouvé par les sacrifices de Caïn et d’Abel, le premier rejeté de Dieu, le second regardé d’un œil favorable.

CHAPITRE V.
DES SACRIFICES QUE DIEU N’EXIGE PAS ET QUI ONT ÉTÉ LA FIGURE DE CEUX QU’IL EXIGE EFFECTIVEMENT.

Qui serait assez insensé pour croire que Dieu ait besoin des choses qu’on lui offre en sacrifice ? L’Ecriture sainte témoigne le contraire en plusieurs endroits, et il suffira de rapporter cette parole du Psaume : « J’ai dit au Seigneur : Vous êtes mon Dieu, car vous n’avez pas besoin de mes biens[3] ». Ainsi, Dieu n’a besoin ni des animaux qu’on lui sacrifie, ni d’aucune chose terrestre et corruptible, ni même de la justice de l’homme, et tout le culte légitime qui lui est rendu n’est utile qu’à l’homme qui le lui rend. Car on ne dira pas qu’il revienne quelque chose à la fontaine de ce qu’on s’y désaltère, ou à la lumière de ce qu’on la voit. Que si les anciens patriarches ont immolé à Dieu des victimes, ainsi que nous en trouvons des exemples dans l’Écriture, mais sans les imiter, ce n’était qu’une figure de nos devoirs actuels envers Dieu, c’est-à-dire du devoir de nous unir à lui et de porter vers lui notre prochain. Le sacrifice est donc un sacrement, c’est-à-dire un signe sacré et visible de l’invisible sacrifice. C’est pour cela que l’âme pénitente dans le Prophète ou le Prophète lui-même, cherchant à fléchir Dieu pour ses péchés, lui dit : « Si vous aviez voulu un sacrifice, je vous l’aurais offert avec joie ; mais vous n’avez point les holocaustes pour agréables. Le vrai sacrifice est une âme brisée de tristesse ; vous ne dédaignez pas, ô mon Dieu ! un cœur contrit et humilié[4] ». Remarquons qu’en disant que Dieu ne veut pas de sacrifices, le Prophète fait voir en même temps qu’il en est un exigé de Dieu. Il ne veut point le sacrifice d’une bête égorgée, mais celui d’un cœur contrit. Ainsi ce que Dieu ne veut pas, selon le Prophète, est ici la figure de ce que Dieu veut. Dieu ne veut pas les sacrifices, mais seulement au sens où les insensés s’imaginent qu’il les veut, c’est-à-dire pour y prendre plaisir et se satisfaire lui-même ; car s’il n’avait pas voulu que les sacrifices qu’il demande, comme, par exemple, celui d’un cœur contrit et humilié par le repentir, fussent signifiés par les sacrifices charnels qu’on a cru qu’il désirait pour lui-même, il n’en aurait pas prescrit l’offrande dans l’ancienne loi. Aussi devaient-ils être changés au temps convenable et déterminé, de peur qu’on ne les crût agréables à Dieu par eux-mêmes, et non comme figure de sacrifices plus dignes de lui. De là ces paroles d’un

  1. Ps. LXXII, 28.
  2. Exod. XXII, 20.
  3. Ps. XV, 2.
  4. Ps. L, 18 et 19.