Page:Augustin Crampon - Les quatre Evangiles, Tolra et Haton, 1864.djvu/558

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plus distingués pour leur probité et leur manière de vivre, et les envoya dans tous les pays de son obéissance, afin de faire le recensement des personnes et des biens, et de prélever une contribution déterminée pour le trésor public (Voc. Ἀπογραφή). » Cyrinus fut un de ces vingt commissaires. Il avait toute la confiance de l’empereur, comme le démontre sa position de rector (conseil) auprès du jeune Caius César ; et ses antécédents le désignaient pour la province de Syrie ; car Tacite nous apprend qu’il avait obtenu les honneurs du triomphe pour avoir conquis les forteresses des Homonadensiens en Cilicie. Il arriva donc en Syrie l’an de Rome 747, avec des pouvoirs extraordinaires, et c’est sous ses ordres que Saturninus fit en Judée le dénombrement dont parle saint Luc.

Cette solution est si simple qu’on pourrait s’étonner qu’on continuât à en chercher une autre, s’il n’y avait encore quelques difficultés de détails ; nous allons y répondre brièvement.

a) Cyrinus n’était pas alors gouverneur (præses) de la Syrie ; mais au temps de la rédaction de l’Évangile de saint Luc, il n’était connu que sous ce titre. Aucun gouverneur n’avait laissé dans le souvenir des Juifs de plus vives impressions : c’est lui qui avait déposé le roi Archélaüs, et incorporé la Judée à l’empire, en la réunissant à la province de Syrie. Par conséquent, en parlant de lui, on ne disait jamais que præses Cyrinus ; saint Luc parle comme tout le monde et lui donne ce titre par anticipation. Le génitif ἡγεμονεύοντος n’est donc pas un génitif absolu, indiquant ici le temps ; il est régi par ἐγένετο, ἐκ sous-entendu ; ce premier dénombrement fut fait par etc. La Vulgate traduit exactement, facta est a, etc. Comp. Matthiæ, Griech. Grammat. § 373.

b) On objecte que Josèphe ne parle pas de ce premier recensement fait par Cyrinus. Mais, d’abord, le seul silence de cet historien n’aurait pas un grand poids en face du récit de saint Luc, confirmé par l’affirmation positive de Tertullien, qui en appelle aux archives de l’empire. D’ailleurs, dit M. Wallon, on peut trouver diverses raisons du silence de Josèphe. Le fait a pu ne laisser qu’une faible impression dans le souvenir, comme n’ayant pas abouti à l’établissement immédiat d’un impôt ; il s’agissait uniquement d’estimer d’une manière plus exacte, d’après le chiffre de la population, la situation de vassalité d’Hérode à l’égard des Romains. Que si l’on veut qu’il ait fait une impression plus grande, elle ne pouvait être que contraire à Hérode, puisque c’était déjà comme la main de Rome dans les affaires de la Judée ; et à ce titre, il ne serait pas impossible que Nicolas de Damas, l’agent et l’historien d’Hérode, à qui Josèphe emprunte ses principaux renseignements, n’en eût pas parlé. Ajoutons que Josèphe a bien souvent omis des faits importants et des faits qu’il avait vus lui-même. Ainsi, dans l’Histoire de sa vie (§ 6), il parle d’une bataille des Juifs contre les Romains qui eut la plus grande influence sur le sort de la Judée, et pourtant il n’en est pas question dans le livre où on l’aurait dû le plus attendre, l’histoire de la Guerre des Juifs. Enfin, de graves auteurs, Lardner, Fréret, Sanclemente, Patrizzi, etc., ont pensé que le serment de fidélité prêté par toute la nation à César Auguste, dont il est parlé au xviie livre des Antiquités (ii, 4),