Page:Augustin Crampon - Les quatre Evangiles, Tolra et Haton, 1864.djvu/569

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appelées Thargumim (plur. de Thargum), et ces Thargumim seraient la source à laquelle l’Évangéliste aurait puisé l’idée et le nom de Logos. En effet, presque partout où il y a dans l’Ancien Testament Dieu, esprit de Dieu, les Thargumim mettent Memra, Verbe ou Parole de Dieu, personnifiant cette parole. Saint Jean, pendant son séjour en Judée, aurait appris à connaître ces idées théologiques, qui renfermaient une science plus profonde de l’Ancien Testament, et elles devinrent un des éléments dont se forma son idée du Logos, en sorte que la doctrine johannique du Verbe ne serait qu’un développement de la doctrine thargumique du Memra.

Cette opinion est souverainement erronée. Si saint Jean, outre le Christ qu’il avait vu, entendu, touché de ses mains, avait eu besoin d’un autre enseignement pour s’élever à l’idée du Logos, ce n’est pas aux Thargumim qu’il aurait eu recours ; il pouvait s’adresser à l’Ancien Testament, spécialement aux écrits deutéro-canoniques, qui personnifient très-souvent les manifestations divines (la sagesse, la parole). Donner pour maître à un Apôtre des Juifs postérieurs à Jésus-Christ, c’est méconnaître complétement la nature du christianisme ; car, après le Christ, il n’y a plus de prophète, plus de maître, comme il n’y a plus de prêtre. Quiconque enseigne la vérité après Jésus-Christ, le fait comme organe de Jésus-Christ. D’ailleurs comment le Memra des Thargumin aurait-il pu donner naissance au Logos de saint Jean ? Le Memra n’est qu’une simple personnification de la parole impersonnelle de Dieu, qui ne saurait devenir jamais Fils de Dieu, jamais Dieu, et qui, par conséquent, ne ressemble en rien au Logos de l’Évangile.

2. Longtemps avant Jésus-Christ, disent les autres, les Juifs Alexandrins professaient la doctrine d’une raison de Dieu personnifiée, d’un Λόγος Θεοῦ. Au temps du Sauveur, Philon avait développé et formulé nettement cette idée. D’Alexandrie, les Thérapeutes et les Esséniens l’avaient propagée en Palestine. Saint Jean avait fréquenté les écoles de ces derniers : par conséquent son Logos découle de la même source que le Logos de Philon.

Cette prétendue identité est contraire au bon sens et s’évanouit à la moindre comparaison que l’on peut faire des deux doctrines. Si saint Jean avait reçu des Esséniens, des Thérapeutes ou de toute autre secte de ce genre, les révélations qui lui assignent le premier rang parmi les Évangélistes, pourquoi les aurait-il attribuées à Jésus ? Une telle ingratitude, un tel reniement de ses maîtres véritables serait inouï. Il n’y a qu’une hypothèse où l’essénisme ou le thérapeutisme de saint Jean ne serait pas absurde, c’est celle où Jésus aurait été lui-même un Thérapeute ou un Essénien. Mais c’est un fait inconnu dans l’histoire, et, même dans cette hypothèse tout à fait imaginaire, on ne comprendrait pas encore pourquoi le maître thérapeute de saint Jean ne se serait pas une seule fois nommé Logos en parlant de lui-même, et pourquoi saint Jean ne se sert de cette expression que lorsqu’il parle en son propre nom. — Il est incontestable, d’ailleurs, que l’Évangile proprement dit de saint Jean n’a rien de commun avec les idées philosophiques de Philon et n’offre pas la moindre trace de son Logos.