Page:Aulard - Histoire politique de la Révolution française.djvu/15

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

comble. Un de nos compatriotes, Choquin, qui était auprès de moi, se levant, tendant les bras, les larmes aux yeux, éjaculant toute la sensibilité de son âme, s’affaissa tout à coup et tomba les quatre fers en l’air, balbutiant : Vive le roi ! Il ne fut pas le seul qui fut saisi à ce paroxysme. Moi-même, bien que je résistasse à la contagion, je ne pus me défendre d’une certaine émotion. Après la réponse du président, le roi sortit de la salle ; les députés se précipitèrent sur ses pas, l’entourèrent, se pressèrent autour de lui et le reconduisirent au château à travers la foule ébahie et frappée du même vertige que ses représentants. » Un député, nommé Blanc, suffoqué par l’émotion, tomba mort dans la salle.

Même à Paris, où la populace passait pour avoir toutes les insolences, ni la bourgeoisie, ni les artisans, ni même les plus misérables gagne-deniers, personne ne profère ce cri de République ! que le cardinal de Retz avait entendu en 1649, au moment où l’Angleterre était en république[1].

Si on avoue que le peuple n’était pas républicain en 1789, on n’admet guère qu’il n’y eût pas de parti républicain dans les salons, les clubs, les loges ou les académies, dans ces hautes sphères intellectuelles où la pensée française se renouvela si hardiment. Et cependant il ne subsiste aucun témoignage ou indice qui décèle un dessein concerté, ou même individuel, d’établir alors la république en France.

Par exemple, les francs-maçons, d’après ce que nous savons d’authentique sur leurs idées politiques, étaient monarchistes, franchement monarchistes. Ils voulaient réformer la monarchie, non la détruire.

Et les écrivains ? les philosophes ? les encyclopédistes ? Leur hardiesse en chaque spéculation n’a guère été dépassée. En est-il un seul, cependant, qui fut d’avis de constituer la France en république ?

Parmi ceux qui étaient morts en 1789, mais dont on peut dire vraiment qu’ils gouvernaient les vivants, qui pourrait-on présenter comme ayant conseillé de substituer la république à la monarchie ?

Montesquieu ? C’est une monarchie à l’anglaise qui a ses préférences.

Voltaire ? Il semble qu’il ait parfois pour idéal un bon despote réformateur.

D’Argenson ? Il loue la république, mais uniquement pour « infuser » dans la monarchie ce qu’il y a de bon dans la république.

Diderot, d’Holbach, Helvétius ? Ils déclament contre les rois : mais, explicitement ou implicitement, ils écartent l’idée d’établir la république en France.

Jean-Jacques Rousseau ? Ce théoricien de la souveraineté populaire, cet admirateur de la république de Genève, ne veut de république que dans un petit pays, et l’hypothèse d’une république de France lui semble absurde.

Mably, ce Mably dont les hommes de 1789 étaient si pénétrés, qui fut

  1. Mémoires, éd. Champollion-Figeac, t. II, p.62.