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L’IDÉE RÉPUBLICAINE ET DÉMOCRATIQUE

que de la république, préparent l’avènement de la démocratie par le fait qu’ils proclament que les hommes sont égaux en droits, que la souveraineté réside dans le peuple[1], et cette idée se répand jusque dans les masses profondes de cette population rurale, qu’ils croient sourde et insensible à leurs prédications. Et même la démocratie se popularisera avant la république, et celle-là, constituée la première en parti politique, amènera le triomphe de celle-ci : les revendications démocratiques contre la bourgeoisie alliée à Louis XVI aboutiront, par le suffrage universel, à la république.

VII. En résumé, personne, la veille de la Révolution, ne songeait à établir la république en France : cette forme de gouvernement semblait impossible dans un grand État en voie d’unification. C’est par le roi qu’on voulait établir, en France, un gouvernement libre. On voulait organiser la monarchie, non la détruire. Personne ne songeait à appeler à la vie politique la masse ignorante du peuple : c’est par l’élite de la nation, élite possédante et instruite, qu’on entendait faire la révolution nécessaire. On croyait que ce peuple, jugé aveugle et inconscient, ne pourrait être qu’un instrument de réaction aux mains des privilégiés. Cependant, l’avènement de la démocratie s’annonçait par la proclamation du principe de la souveraineté du peuple, et la république, forme logique de la démocratie, se préparait par la diffusion des idées républicaines, par l’exemple de l’Amérique, par le spectacle de l’impuissance de la monarchie, par la proclamation continuelle de la nécessité d’une révolution violente, qui, entreprise pour réformer la monarchie, allait exposer l’existence de cette monarchie aux hasards d’un bouleversement général. La société dirigeante était pénétrée de républicanisme. Il existait un état d’esprit tel que, si ce roi, en qui on voyait le guide historiquement indispensable de la France nouvelle, manquait à sa mission, s’il se dérobait, par exemple, à son devoir héréditaire de défenseur de l’indépendance française, la république serait acceptée sans répugnance, quoique sans enthousiasme, d’abord par l’élite des Français, puis par la masse de la nation.

  1. Il est bien entendu qu’il faut se garder de croire que cette idée de la souveraineté du peuple date du XVIIIe siècle. Sans remonter aux écrivains de l’antiquité, ni même à saint Thomas, à Bellarmin, à Suarès, on savait très bien alors que cette idée avait été proclamée et appliquée dans la Révolution anglaise, et c’est parce qu’ils savaient cela, et par conséquent pour des raisons historiques, que les écrivains du XVIIIe siècle furent si nombreux à proclamer la souveraineté du peuple.