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LE DÉBUT DE LA RÉVOLUTION

Et Malouet dit dans la séance du 3 août[1] : « Pourquoi transporter les hommes sur le haut d’une montagne, et de là leur montrer tout le domaine de leurs droits, puisque nous sommes obligés ensuite de les en faire redescendre, d’assigner les limites, et de les rejeter dans le monde réel, où ils trouveront des bornes à chaque pas[2] ? »

Quand l’Assemblée apprit, le 4 août, que la Révolution était partout victorieuse, elle cessa de prêter l’oreille à ces objections, et, consacrant la victoire populaire, elle décréta, quelques heures avant de voter l’abolition du régime féodal, que la constitution serait précédée d’une Déclaration des droits, et qu’il n’y aurait pas de Déclaration des devoirs.

Il y avait plusieurs projets émanés de La Fayette, Siéyès, Mounier, Target, etc., dissemblables de forme, semblables quant aux principes. Le 12 août, l’Assemblée nomma un Comité de cinq membres pour les fondre en un seul. Le 17, ce Comité présenta son rapport par l’organe de Mirabeau, et ce rapport parut très mal fait. Le rapporteur, secrètement hostile à toute Déclaration, proposait l’ajournement après la constitution. Le 18 août, renvoi aux bureaux, et chaque bureau dressa un projet. Le 19, l’Assemblée prit pour base le projet du 6e bureau, qu’elle vota, du 20 au 26, avec de graves amendements.

Ou plutôt ce fut une rédaction nouvelle, bien meilleure que le texte du 6e bureau et que les autres projets. Il se produisit en effet ce phénomène, presque invraisemblable, que ces 1200 députés, incapables d’aboutir à une expression concise et lumineuse, quand ils travaillaient, soit isolément, soit par petits groupes, trouvèrent les vraies formules, courtes et nobles, dans le tumulte d’une discussion publique, et c’est à coups d’amendements improvisés que s’élabora, en une semaine, l’édifice de la Déclaration des droits.

  1. Lucas-Montigny, Mémoires de Mirabeau, éd. de Bruxelles, t. IX, p. 66, attribue ce propos à Mounier.
  2. Si on veut connaitre l’opinion de ceux des adversaires de la Déclaration qui ne faisaient pas partie de l’Assemblée, il faut lire l’article de Rivarol, dans le Journal politique national du 2 août 1789 : « … Malheur à ceux qui remuent le fond d’une nation ! Il n’est point de siècle de lumière pour la populace : elle n’est ni française, ni anglaise, ni espagnole : la populace est toujours et en tout pays la même, toujours cannibale, toujours anthropophage ! » « Vous allez en ce moment donner des lois fixes et une constitution éternelle à une grande nation, et vous voulez que cette constitution soit précédée d’une Déclaration pure et simple des droits de l’homme. Législateurs, fondateurs d’un nouvel ordre de choses, vous voulez faire marcher devant vous cette métaphysique que les anciens législateurs ont toujours eu la sagesse de cacher dans les fondements de leurs édifices. Ah ! ne soyez pas plus savants que la nature ! Si vous voulez qu’un grand peuple jouisse de l’ombrage et se nourrisse des fruits de l’arbre que vous plantez, ne laissez pas ses racines à découvert. Craignez que des hommes, auxquels vous n’avez parlé que de leurs droits et jamais de leurs devoirs, que des hommes qui n’ont plus à redouter l’autorité royale, qui n’entendent rien aux opérations législatives d’une Assemblée nationale, et qui en ont conçu des espérances exagérées, ne veuillent passer de l’égalité naturelle à l’égalité sociale, de la haine des rangs à celle des pouvoirs, et que, de leurs mains rougies du sang des nobles, ils ne veuillent aussi massacrer leurs magistrats. » — Il faut remarquer que Rivarol ne conteste pas absolument la vérité des principes dont il redoute l’application.