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ORGANISATION DE LA MONARCHIE

La voilà donc, cette Assemblée, victorieuse encore une fois du roi, mais, encore une fois, grâce au peuple de Paris. La voilà à la merci de ce peuple. Elle aura désormais autant peur de la démocratie que de l’absolutisme, et de là sa politique de bascule, tantôt contre le roi, tantôt contre le peuple.

Contre le roi est rendu le décret du 8 octobre 1789, qui change son titre à forme absolutiste de roi de France et de Navarre en celui de roi des Français.

Puis elle en fait un roi à deux faces, ou plutôt à deux essences : Louis, par la grâce de Dieu et la loi constitutionnelle de l’État, roi des Français (10 octobre), juxtaposant ainsi, dans une même formule et d’une façon empirique, le vieux principe mystique et le nouveau principe rationnel, l’ancien régime et la Révolution. C’est contre la démocratie qu’elle fait ainsi appel à la grâce de Dieu. C’est contre le roi, et en faveur de la classe bourgeoise, qu’elle invoque la loi constitutionnelle. Cette contradiction, ce fut ce qu’on appela, dans la langue politique d’alors, le mystère, qu’il n’était pas patriotique éclaircir. C’est aussi ce que Mirabeau avait appelé, dans un discours du 18 septembre 1789, « sauver la soudaineté du passage[1] ».

Contre le roi, par l’organisation départementale (22 décembre 1789), où il n’y a place pour aucun agent du pouvoir central, elle établit une sorte d’anarchie administrative[2].

Contre le peuple, elle vota (14 décembre) la loi d’organisation municipale.

On parle toujours de cette loi, comme si elle avait créé ou rétabli la vie municipale en France, ou comme si c’était une loi à tendances populaires. C’est tout le contraire. La révolution à forme municipale, de juillet-aout 1789, avait été démocratique, le peuple s’étant installé en maître sur la place publique ou dans l’église, y délibérant en armes. La loi du 14 décembre restreignit cette liberté, supprima la démocratie municipale ; elle ne permit plus aux citoyens des communes de se réunir qu’une fois et pour un seul objet : la nomination de la municipalité et celle des électeurs, et elle ne le permit qu’aux citoyens actifs. Il n’y eut plus même de ces assemblées générales d’habitants que l’ancien régime réunissait encore çà et là dans certains cas. Toute la vie municipale fut légalement concentrée dans la municipalité, choisie parmi les plus riches, par un suffrage censitaire. Cependant, cette loi concédait (article 12) aux citoyens actifs le droit « de se réunir paisi-

    plus tôt république, (Histoire de la Révolution, par deux amis de la liberté, t. II, p.319, publiée en 1790.) Mais qui ne voit qu’ici Mounier parle ironiquement ? Son tant mieux signifie-t-il autre chose que ceci : « Tant mieux pour les factieux : leurs vœux seront comblés » ?

  1. Mirabeau peint par lui-même, t.I, p.360.
  2. Ainsi les conseils et directoires de département furent invités, par la loi du 15 mars 1791 (art. 24), à dénoncer au Corps législatif ceux des ordres du roi qui leur paraîtraient contraires aux lois.