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BOURGEOISIE ET DÉMOCRATIE

En somme, le suffrage universel fut demandé, dès lors, par cinq députés : Grégoire, Adrien du Port, Defermon, Noussitou et Robespierre. Quelle était l’importance numérique de la minorité au nom de laquelle ils parlaient ? Nous ne le savons pas, et il n’y eut pas de vote au scrutin. Cette minorité dut être assez faible, car nous voyons que des patriotes très « avancés » se résignaient au régime censitaire. Ainsi Petion dira à la tribune, le 29 octobre suivant : « D’un côté, je me disais que tout citoyen doit partager le droit de cité ; de l’autre, lorsque le peuple est antique et corrompu, j’ai cru remarquer quelque nécessité dans l’exception proposée par votre Comité de constitution. »

L’article fut voté séance tenante, et devint le troisième de la 1re section du décret du 22 décembre 1789. Il est ainsi conçu :

« Les qualités nécessaires pour être citoyen actif sont 1° d’être Français ; 2° d’être majeur de vingt-cinq ans accomplis ; 3° d’être domicilié de fait dans le canton, au moins depuis un an ; 4° de payer une contribution directe de la valeur locale de trois journées de travail ; 5° de n’être point dans l’état de domesticité, c’est-à-dire de serviteurs à gages[1]. »

Comment et à quel taux seraient évaluées les journées de travail ? Ce furent d’abord les autorités municipales qui eurent à faire cette évaluation[2]. Il y en eut qui arrêtèrent un chiffre trop élevé. Ainsi le Comité de Soissons les fixa à 20 sols, quoique le prix moyen de la journée de travail ne fût réellement dans cette ville que de 12 sols[3]. Il semble qu’ailleurs ce prix ait été fixé à plus de 20 sols. Aussi, le 15 janvier 1790, le décret suivant fut-il rendu : « L’Assemblée nationale, considérant que, forcée d’imposer quelque condition à la qualité de citoyen actif, elle a dû rendre au peuple ces conditions aussi faciles à remplir qu’il est possible, que le prix des trois journées de travail, exigées pour être citoyen actif, ne doit pas être fixé sur les journées d’industrie, susceptibles de beaucoup de variations, mais sur celles employées au travail de la terre, a décrété … que, dans la fixation du prix de la journée de travail à ce point de vue, on ne pourrait excéder la somme de 20 sols. »

C’est exceptionnellement que les municipalités tendaient à majorer le prix de la journée de travail, à « aristocratiser » le droit de suffrage. On

  1. Sur cette question de l’incapacité politique des domestiques, voir le Point du Jour, t. III, p. 458 à 460. Le décret des 20, 23 mars et 19 avril 1790 porte, article 7 : « Ne seront réputés domestiques ou serviteurs à gages les intendants ou régisseurs, les ci-devant feudistes, les secrétaires, les charretiers ou maitres-valets de labours employés par les propriétaires, fermiers ou métayers, s’ils réunissent d’ailleurs les autres conditions exigées.»
  2. Avant l’application de la loi municipale, le prix de la journée fut fixé par les municipalités révolutionnaires établies spontanément en juillet et en août 1789, ou par les « Comités » qui s’étaient formés dans les villes. Le décret du 11 février 1790 confia le soin de cette fixation aux municipalités nouvelles. Plus tard, par le décret du 13 janvier 1791, art.11 du titre 2, cette attribution passa aux districts et aux départements.
  3. Point du Jour, t. VI, p. 330.