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LE RÉGIME CENSITAIRE

verra plus loin qu’elles avaient en général une tendance à évaluer ce prix au-dessous de la réalité, à « démocratiser » le droit de suffrage, et cette tendance provoqua des observations et instructions du Comité de constitution (30 mars 1790). Il y était dit « que, si les municipalités peuvent évaluer les journées de travail à un prix inférieur à 20 sols, elles ne doivent pas abaisser ridiculement ce prix, pour augmenter leur influence ». Par exemple, pour une évaluation inférieure à 10 sols, elles devraient en référer à l’Assemblée nationale.

La question des trois journées de travail revint devant l’Assemblée dans la séance du 23 octobre 1790, où elle discuta le projet relatif à la contribution mobilière et personnelle, qui devint la loi du 13 janvier 1791. Le Comité de constitution essaya alors de rendre le mode de suffrage plus démocratique et proposa, par l’organe de Defermon, de faire payer à tous ceux qui avaient des ressources quelconques, sauf aux « ouvriers-manœuvres de la dernière classe », une contribution égale à la valeur de trois journées de travail. Les « ouvriers-manœuvres » pouvaient la payer volontairement, et alors ils seraient citoyens actifs. C’était presque le suffrage universel que le Comité tâchait ainsi d’établir par une voie indirecte. L’Assemblée se récria, au sujet de la clause qui permettait de payer volontairement la contribution des trois journées de travail ; on affecta de craindre la corruption, et, au milieu d’un tumulte, la question préalable fut votée. Rœderer insista pour que le reste de l’article fût rédigé de manière à exclure le plus d’ouvriers possible. Robespierre parla dans un sens démocratique[1]. Voici ce que vota l’Assemblée : « La contribution des trois journées de travail sera payée par tous ceux qui auront quelques richesses foncières ou mobilières, ou qui, réduits à leur travail journalier, exercent quelque profession qui leur procure un salaire plus fort que celui arrêté par le département pour la journée de travail dans le territoire de leur municipalité[2]. » C’était un peu élargir la base primitivement fixée. Par exemple, dans les communes ou la taxe de la journée de travail était fixée a 13 sols, un ouvrier qui gagnait 16 sols par jour devenait électeur.

D’autres mesures furent prises ou avaient été prises pour élargir encore un peu le suffrage. Ainsi, à Paris, le Comité de constitution autorisa « l’admission aux assemblées primaires de tout garde national ayant servi à ses frais, sans qu’il eût à justifier d’une autre contribution[3] ». La loi du 28 février 1790 édicta que les militaires et marins

  1. Je résume cette discussion d’après le Point du Jour t. XV, p. 333 à 335, et d’après le Moniteur, réimpression, t. VI, p. 191. On voit que Robespierre et Rœderer, tous deux membres de l’extrême gauche de la Constituante, n’étaient pas d’accord alors sur cette importante question du droit de suffrage.
  2. Cet article devint l’art. 13 du titre 2 de la loi du 13 janvier 1791.
  3. Je n’ai point retrouvé cet arrêté du Comité de constitution. Mais il y est fait allusion, dans les termes que je viens de rapporter, par Desmousseaux, substitut-adjoint du procureur de la Commune, en une lettre du 10 juin 1791, où il demande