Page:Aulnoy - Les contes choisis, 1847.djvu/249

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
211
LA CHATTE BLANCHE.

qu’elle voulait mourir de sa main, et que c’était l’unique moyen que ses frères n’eussent la couronne ; en un mot, elle le pressa avec tant d’ardeur qu’il tira son épée en tremblant, et d’une main mal assurée, il coupa la tête et la queue de sa bonne amie la chatte : en même temps, il vit la plus charmante métamorphose qui se puisse imaginer. Le corps de Chatte-Blanche devint grand, et se changea tout d’un coup en fille ; c’est ce qui ne saurait être décrit : il n’y a eu que celle-là aussi accomplie.

Le prince, en la voyant demeura si surpris, et d’une surprise si agréable, qu’il se crut enchanté. Il ne pouvait parler, ses yeux n’étaient pas assez grands pour la regarder et sa langue liée ne pouvait expliquer son étonnement ; mais ce fut bien autre chose, lorsqu’il vit entrer un nombre extraordinaire de dames et de seigneurs qui, tenant tous leur peau de chatte ou de chat jetée sur leurs épaules, vinrent se prosterner aux pieds de la reine. Elle les reçut avec des témoignages de bonté qui marquaient assez le caractère de son cœur. Et, après avoir tenu son cercle quelque moment, elle ordonna qu’on la laissât seule avec le prince, et elle lui parla ainsi :

Ne pensez pas, seigneur, que j’aie toujours été chatte. Mon père était roi de six royaumes. Il aimait tendrement ma mère et la laissait dans une entière liberté de faire tout ce qu’elle voulait. Son inclination dominante était de voyager ; de sorte qu’étant grosse de moi, elle entreprit d’aller voir une certaine montagne dont elle avait entendu dire des choses surprenantes. Comme elle était en chemin, on lui dit qu’il y avait proche du lieu où elle passait un ancien château de fées, le plus beau du monde ; que ces fées avaient dans leur jardin les meilleurs fruits qui se fussent jamais mangés.