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AULU-GELLE


Hygin n’est pas le seul qui admette cette leçon ; elle a été reçue aussi par plusieurs savants. En effet, il parait absurde de dire sapor sensu amaro torquet ; car, dit-on, puisque la saveur, sapor, est une sensation, sensus, et qu’on ne peut mettre dans la saveur d’autre sensation qu’elle-même, c’est comme si on disait : sensus sensu amaro torquet, une sensation vous révolte par une sensation amère. Je lisais un jour avec Favorinus ce commentaire d’Hygin ; choqué de la dureté et de la nouveauté de la tournure, sensu torquebit amaro, notre philosophe se mit à rire : « Je suis prêt, dit-il, à jurer par Jupiter Lapis, ce qui est le plus sacré de tous les serments, que jamais Virgile n’a écrit amaro . Je partage complétement l’avis d’Hygin. » Virgile ne s’est pas servi le premier du mot amaror ; on le trouve dans Lucrèce, et Virgile n’a pas cru devoir dédaigner l’autorité d’un poète distingué par son génie et son éloquence. En effet, on trouve dans le quatrième chant du poëme de Lucrèce les vers suivants :

Denique in os salsi venit humor saepe saporis :
Quum mare versamur propter : dilutaque contra
Quum tuimur misceri absinthia, tangit amaror.

Parcours les bords de l’Océan, la vapeur saline affecte ton palais, et l’absinthe broyée devant toi te lance son amertume.