Page:Austen - Emma.djvu/258

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

disposent de grosses fortunes. Mon beau-frère, M. Sukling, est continuellement par voies et par chemins ; vous ne me croirez peut-être pas, mais l’année dernière M. Sukling et M. Bragge ont fait le voyage de Londres aller et retour deux fois dans la même semaine, avec un attelage de quatre chevaux.

— Dans ce cas particulier, l’inconvénient de la distance se complique de l’état de santé de Mme Churchill qui depuis une semaine n’a pu quitter sa chaise longue. Elle se plaignait, d’après l’avant-dernière lettre de Frank, d’être trop faible pour pouvoir aller jusqu’à sa serre sans l’aide de son mari et de son neveu ; et pourtant aujourd’hui elle a l’intention de brûler les étapes et de se réserver deux nuits de repos seulement en cours de route. Vous m’accorderez, Madame Elton, que les femmes délicates ont d’extraordinaires constitutions !

— Je ne me sens aucunement disposée à vous faire cette concession : par principe, je prends parti pour mon sexe. Vous trouverez toujours en moi une terrible antagoniste dans ce genre de controverses. Si vous entendiez Célina parler de la nécessité de coucher dans les auberges — c’est pour elle un véritable supplice – vous comprendriez l’effort que Mme Churchill s’impose afin d’échapper, dans la mesure du possible, à de pareilles extrémités. Je crois que j’ai moi-même subi la contagion de la délicatesse de ma sœur qui ne voyage jamais sans emporter ses propres draps. Mme Churchill use-t-elle de cette précaution ?

— Sans aucun doute, Mme Churchill pousse à l’excès le soin de sa personne et il n’y a pas d’élégance qu’elle ne pratique.

— Oh, M. Weston ! Comprenez-moi bien ; Célina ne rentre pas dans la catégorie des femmes à la mode !

— En ce cas, elle ne saurait être comparée à Mme Churchill : celle-ci est la femme la plus raffinée qu’on puisse imaginer !

(À suivre.)